Yara veut fermer : le choc à Pardies

Mar 8, 2017 | Economie, Presse française

  • Yara veut fermer : le choc à Pardies
    Yara exploite son site de Pardies, en Béarn, depuis 1963. Il est aujourd’hui menacé de fermeture.

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  • Yara veut fermer : le choc à Pardies
    L’usine Yara était fragilisée depuis la fermeture en 2009 de son voisin (et principal client) Celanese.

    © Archive J.-P. Gionnet
PAR GÉRARD CAYRON, PUBLIÉ LE .

L’annonce est durement ressentie sur le bassin de Lacq : Yara prévoit la fermeture de son site dès l’an prochain.

L’information, tombée en milieu d’après-midi, ce mardi, a fait l’effet d’une bombe. Le bassin de Lacq est touché par un nouveau séisme, social et industriel, après l’annonce par Yara de sa volonté de fermer, « pour raisons économiques », le vieux site installé sur la plateforme de Pardies depuis plus d’un demi-siècle.

La fermeture, qui serait effective au plus tard au cours du dernier trimestre 2018, a été évoquée lors du comité central d’entreprise (CCE) tenu à Paris. Et rapidement confirmée, notamment par des sources syndicales, avant la réunion d’un prochain CCE, le 14 mars, toujours au siège parisien.

85 SALARIÉS

Située en zone Seveso, cette usine, qui produit du nitrate d’ammonium ainsi que des composants d’engrais, emploie officiellement plus de 85 personnes (contre 130 moins d’une décennie auparavant).

Mais on est, en réalité, plus proche de la grosse centaine de salariés, sous-traitants et personnels de surveillance compris. Pardies est l’un des quatre sites français (400 salariés au total) propriétés de Yara, groupe détenu à hauteur d’un tiers du capital par l’Etat norvégien.

Mais si la cessation d’activité devait se confirmer, il faut d’ores et déjà regarder au-delà de cette seule usine. A cause d’un effet domino bien connu sur le bassin de Lacq, l’industriel Air Liquide (30 personnes), basé dans un environnement proche, se retrouve en effet sur la sellette. La « facture sociale » pourrait donc se révéler sensiblement plus lourde.

CELANESE POUR PREMIER CLIENT

S’ils sont bien sûr contestés par le personnel, les critères économiques, avancés mardi par la direction de Yara, à Paris, peuvent, hélas, assez facilement s’expliquer. Le scénario noir qui semble devoir s’écrire trouve son origine huit ans plus tôt, quand l’usine du grand voisin américain, Celanese, a fermé ses portes. Ce jour-là, en 2009, Yara « a perdu son premier client », pouvait-on entendre dès ce mardi.

Quelque temps après, le groupe norvégien cessait aussi sa production (annexe) d’ammoniac agricole. Par ailleurs, l’impossibilité (pour diverses raisons) d’écouler par le port de Bayonne la production pardisienne n’a rien arrangé à l’affaire. L’équilibre financier restait semble-t-il précaire. Ce mardi, des pertes, qualifiées de « colossales » mais sans plus de précisions, ont d’ailleurs été évoquées…

Du côté des salariés, la sidération est bien sûr de mise. Un droit d’alerte a été déclenché dès mardi par les organisations syndicales. Ce mercredi matin, une assemblée générale du personnel, suivie par une conférence de presse, est prévue. Des appels à la grève pourraient suivre. La CGT, organisation majoritaire, ne l’exclut pas.

ET SI UN REPRENEUR…

Info ? Ou rideau de fumée ? L’avenir proche le dira… Mais toujours est-il que, selon nos informations, des discussions ont lieu depuis déjà quelques jours en coulisses. Elles visent à « explorer toutes les alternatives possibles », comme l’indiquent plusieurs acteurs du dossier (lire en Zoom).

En clair, et hormis la fermeture pure et simple, le scénario d’une reprise par un autre opérateur n’est pas totalement à exclure. Le sujet est notamment venu sur la table lors d’une rencontre, à l’Assemblée nationale, entre Thierry Loyer, patron de Yara France, et le député David Habib. Des groupes étrangers, dont un espagnol semble-t-il, peuvent être intéressés par l’usine de Pardies qui bénéficie des services d’un pipeline et d’investissements réalisés récemment (lire ci-dessous). Rappelons enfin que, au titre de la loi Florange, Yara devra – s’il veut réellement se désengager – chercher à pérenniser l’activité. Mais aussi se soumettre, comme Celanese avant lui, à l’obligation de dépolluer les sols.

 

UNE USINE QUI ÉTAIT MENACÉE DEPUIS 2009 ET LE DÉPART DE CELANESE

Cela fait plusieurs années que le site de Lacq de Yara est sur la sellette.

La fermeture annoncée de l’usine Yara de Pardies pourrait clore un feuilleton qui dure depuis plusieurs années. Plus précisément, depuis l’arrêt de Celanese il y a sept ans.

Quand le groupe américain cesse sa production en 2009, il menace de fait ses voisins immédiats de Yara et Air liquide, les trois unités industrielles étant interdépendantes. De fait, alors que Yara emploie près de 150 personnes à Pardies, le départ de Celanese impose au fabricant d’engrais de réduire ses effectifs sur la plateforme chimique. Avec des départs et l’arrêt notamment de l’atelier d’ammoniac agricole, le site passe sous le seuil des 100 personnes. Et la fermeture est même annoncée pour fin 2012.

La filiale du groupe norvégien travaille donc à consolider son modèle économique local et se met en quête de nouveaux débouchés pour la vapeur que lui achetait jusqu’alors Celanese.

4,4 MILLIONS POUR UN PIPELINE

La construction par la CC Lacq-Orthez d’un pipeline de 2,6 km, pour 4,4 millions d’euros, permet de desservir les plateformes de Sobegi. Le Département, la Région mais aussi l’État (via l’Ademe) participent au tour de table. « Nous avons un surplus de vapeur que nous vendions auparavant à Celanese. Nous avons besoin de nouveaux clients », explique à l’époque le directeur Philippe Michiels.

À la même période, l’entreprise parie sur le port de Bayonne pour réduire ses frais de transport. L’économie espérée est de 300 000 euros. Mais la fronde des élus basques retarde ce dessein dont l’État doit alors se mêler. Une réunion est organisée fin 2011 à la sous-préfecture de Bayonne pour débloquer le dossier. Le feu passe au vert mais Yara utilisera finalement peu cette option, préférant le port de Bordeaux. Reste que fin 2011, Jean-Michel Tiard, PDG de Yara France, vient à Mourenx annoncer le maintien de l’usine de Pardies. L’usine voit son horizon s’éclaircir et se modernise même, investissant, avec le soutien de l’État, pour la sécurité, notamment dans le cadre de l’application du plan de prévention des risques technologiques (PPRT). Un bardage est aménagé pour 1,4 million d’euros en 2014. Si Yara participe à hauteur d’un tiers, les pouvoirs publics (État, CC Lacq-Orthez, conseil départemental) mettent aussi la main au portefeuille. Le site de Pardies quitte peu à peu la scène médiatique. Jusqu’à aujourd’hui.

Si aucun repreneur ne venait à être trouvé et si Yara entraîne Air Liquide dans sa disparition, se posera avec encore plus d’acuité l’avenir du site de Pardies. Lequel, après le départ de Péchiney il y a 25 ans (partiellement remplacé par Arysta) et celui de Celanese il y a 8 ans, s’apprête à connaître un nouveau séisme social.

« C’est inadmissible et irresponsable »

  • Jacques Cassiau-Haurie (président de la CC Lacq-Orthez) :« Les élus de la communauté sont aux côtés des salariés pour résister à ce mauvais coup. C’est inadmissible et irresponsable. La seule justification de la direction est d’ordre comptable. Yara veut justifier l’injustifiable : la casse d’un outil de production utile pour améliorer les résultats financiers. »
  • David Habib (député PS) : « Il existe plusieurs scénarios. C’est soit la fermeture, soit une reprise partielle d’activité, soit Yara vend à un repreneur. Quand nous l’avons rencontré, le PDG de Yara a indiqué que des groupes étaient intéressés. Je rappelle que, après Celanese, Yara s’engageait 10 ans. »
  • Jean-François Deroles (représentant CGT au comité d’entreprise) :« On nous annonce des pertes colossales auxquelles nous refusons de croire. On conteste la fermeture et les raisons économiques évoquées. Nous allons demander l’assistance d’un expert pour explorer toutes les alternatives. »
  • Patrice Laurent (maire de Mourenx) :« Cette usine m’est chère. Mon père y travaillait, j’y ai travaillé également. C’est une mauvaise nouvelle. On avait accompagné ce site fragilisé depuis l’arrêt de Celanese. Yara devait investir, et cela traînait (…). Je sais que des actions vont être menées par le personnel et je serai à ses côtés. »
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