EL PAÍS
Madrid 22 MAI 2016
La gare TGV de la localité alicantine de Villena, inaugurée en 2013, a coûté 11,5 millions d’euros. Celle de Requena-Utiel, à 70 kilomètres de Valence, ouverte en 2010, 12,4 millions d’euros. Toutes deux ont été construites spécifiquement pour le réseau TGV, qui a coûté en investissement 47 milliards d’euros au cours des deux dernières décennies. Elles font partie des huit gares les plus sous-utilisées, et sont devenues involontairement emblématiques des excès du boom des infrastructures. Une gare TGV sur quatre voit passer moins de 100 voyageurs par jour, selon les chiffres officiels obtenus par EL PAÍS.
En gare de Villena, à 60 kilomètres d’Alicante, construite en plein désert à six kilomètres du bourg et sans transport public pour y accéder, cinq TGV s’arrêtent dans chaque sens sur le trajet Madrid – Alicante. (–) Selon les statistiques de Renfe, les 29 gares du réseau TGV ouvertes au trafic en 2014 (deux de plus ont ouvert récemment) ont accueilli 35.129.000 passagers. Mais la compagnie enregistre deux fois chaque passager, au départ et à l’arrivée, de sorte que le nombre réel de voyageurs est de 17.564.500.
Le cas de Requena-Utiel, où il n’y a pas non plus d’autre choix que le taxi ou la voiture pour s’y rendre car elle est à l’écart de la localité, est encore plus désolant. La gare ne reçoit que 20 passagers par jour sur les quatre TGV qui s’y arrêtent dans chaque sens. Pas étonnant que l’appel d’offres pour la gérance de la cafeteria n’ait attiré personne. Il n’y a aujourd’hui qu’une billetterie automatique et le vaste espace prévu pour des activités commerciales reste vide six ans plus tard. “On pourrait prendre le TGV pour se rendre à Valence en 20 minutes, mais entre le prix du billet et le fait qu’on est obligé de laisser la voiture toute la journée dans un parking payant, cela revient trop cher ”, dit une usagère.
En gare de Puente Genil-Herrera, située à mi-chemin des deux villages, il y a ni cafeteria ni distributeur de billets ni rien de ce qui était prévu lors de l’inauguration (elle a coûté 7,2 millions d’euros). Sa toiture design moderne, qui imite le vol d’un oiseau, et son parking surdimensionné de 250 places soulignent s’il en était besoin la solitude des 69 passagers quotidiens. Huesca (99), Guadalajara (92), Villanueva de Córdoba (23), Ségovie (14) et Tardienta* (1) complètent les huit gares qui n’atteignent pas les cent voyageurs.
A l’autre extrême, on trouve les gares ferroviaires qui concentrent 90% de tout le trafic TGV du réseau : Madrid- Atocha, avec presque 19.000 passagers par jour, et Barcelone, près de 8.000. Avec Séville, Saragosse, Valence, Málaga, Cordoue et Alicante, elles symbolisent le succès commercial du réseau. Succès qui se traduit par la rentabilité, selon une étude récente de la Fondation d’Etudes d’Economie Appliquée (Fedea), qui conclut qu’en Espagne il y a trop peu de voyageurs par rapport à la longueur du réseau TGV ,et que le coût énorme pour le trésor public n’est pas justifié.
L’Espagne a investi 47 milliards d’euros sur le réseau TGV depuis 1992 et l’inauguration de la première ligne, entre Madrid et Séville. Rien que pour les gares, Adif, le titulaire des infrastructures, a dépensé presque 1.500 millions. Elles ne sont pas toutes nouvelles ; il y a également eu des rénovations, certaines particulièrement spectaculaires comme celle d’Atocha (312 millions), et d’autres plus modestes, comme les 50.000 euros d’aménagement de la gare de Tardienta, dans la province de Huesca.
Lors des inaugurations les autorités s’enorgueillissaient du fait que l’Espagne est le second pays en nombre de kilomètres de LGV du monde, derrière la Chine. Avec 3.400 kilomètres, nous dépassons par exemple la France de plusieurs centaines et l’Allemagne du double, selon les statistiques de l’Union Internationale des Chemins de Fer (UIC en français).
Le rapport de Fedea, de l’an dernier, concluait que sur les trois couloirs (Madrid-Barcelone, Madrid-Andalousie, et Madrid-Levant) les recettes dépassent les coûts variables, et donc il vaut mieux poursuivre l’exploitation. Sur Madrid-Nord, en revanche, l’exploitation est à elle seule déficitaire.
La Cour des Comptes a récemment considéré que l’actuel modèle de financement des LGV présente « importante incertitude sur l’équilibre économique à long terme » de ces infrastructures, étant donné leur » endettement élevé « . Le rapport conseillait de limiter les investissements les plus déficitaires ».
Renfe et Adif affirment que le réseau ne doit pas seulement être abordé sous l’angle de la rentabilité économique pure, mais aussi en termes de cohésion entre territoires. Renfe ajoute que près de 60% de ses trains conventionnels à grande distance (Alvia, Euromed, Altaria) utilisent le réseau LGV existant en Espagne.
* Tardienta est une petite ville de 1.000 habitants située à 25km de Huesca ! NdT