Concurrence, dette, statut des cheminots, petites lignes… Le document remis jeudi au premier ministre Edouard Philippe propose une mue radicale du rail français.
LE MONDE ECONOMIE | • Mis à jour le | Par Éric Béziat
L’heure du grand chamboule-tout approche pour la SNCF. Une étape décisive a été franchie, jeudi 15 février, avec la remise du « Rapport sur l’avenir du transport ferroviaire » de Jean-Cyril Spinetta au premier ministre Edouard Philippe.
Hormis les retraites, tout est sur la table et l’ensemble des préconisations du texte de 120 pages constitueront, si elles sont mises en œuvre, la plus grande transformation qu’ait connue le rail français depuis la création de la SNCF en 1937.
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La possible reprise de la dette par l’Etat
En l’espèce, il s’agit de la dette de SNCF Réseau, l’entité du groupe ferroviaire qui gère l’infrastructure ferroviaire, soit environ 46 milliards d’euros fin 2017. Un trou qui se creuse chaque année de 3 milliards d’euros et qui paralyse le système.
« Le traitement de la dette est une condition préalable et nécessaire à un retour à l’équilibre du gestionnaire d’infrastructures », dit le rapport, sans plus de précisions. Plusieurs scénarios peuvent être envisagés sous l’œil sévère de Bercy, mais M. Spinetta insiste sur la nécessité de soulager SNCF Réseau de ce fardeau.
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La transformation en SA
C’est l’un des chiffons rouges agités par les syndicats qui y voient les germes de la privatisation. Depuis la réforme ferroviaire de 2014, l’édifice SNCF est constitué de trois établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) : un EPIC SNCF de tête, sorte de holding de commandement, qui en chapeaute deux autres, SNCF Mobilités (qui fait rouler les trains) et SNCF Réseau (qui s’occupe des rails).
Le rapport Spinetta préconise la transformation de ces deux dernières EPIC en deux sociétés anonymes (SA) à capitaux publics. SNCF Mobilités serait transformée au motif que « sa forme juridique actuelle n’est pas durablement compatible avec les exigences européennes » dans la perspective de l’arrivée de la concurrence. Plus inattendu, SNCF Réseau deviendrait aussi une SA, meilleure manière, selon M. Spinetta, d’installer des garde-fous contre la tentation de l’endettement permanent.
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La mise en place de la concurrence
Inéluctable, l’ouverture à la concurrence est une obligation légale de la France qui est tenue de transposer dans sa loi, au plus tard à la fin de cette année, les directives européennes. On parle là de transport intérieur ferroviaire de voyageurs, les marchandises et les liaisons internationales constituant déjà un marché ouvert.
Le rapport distingue deux sortes d’ouverture à la concurrence. Celle concernant les lignes TER conventionnées et subventionnées par les régions et celle concernant le transport ferroviaire sur longue distance (TGV et Intercités). Dans les deux cas, le processus d’ouverture du marché devrait être lancé en 2019, pour une présence effective d’opérateurs concurrents de la SNCF sur le réseau français à partir de 2021.
Dans le cas des lignes régionales, plusieurs opérateurs répondront à un appel d’offres et le vainqueur deviendra exploitant de la ligne. Le rapport souhaite qu’on permette aux régions de lancer vite le processus mais « dans une logique d’ouverture progressive qui conduira SNCF Mobilités à garder un rôle prééminent au moins jusqu’en 2023 ».
Le document souligne que « la principale difficulté réside dans le transfert des personnels aux nouveaux opérateurs », véritable épouvantail pour les cheminots, parmi lesquels beaucoup se voient mal devenir salariés d’une nouvelle entreprise du jour au lendemain. Ces derniers pourront, souligne le rapport, refuser un transfert, mais devront accepter une nouvelle affectation sous peine d’être considérés comme démissionnaires. Ceux qui accepteront seront transférés avec tous les avantages liés à leur contrat de travail.
Quant à la longue distance, le rapport opte pour une concurrence en accès libre (plusieurs opérateurs différents sur une même ligne), plutôt que pour un système de franchise à la britannique (le réseau est découpé en zones, chacune étant attribuée à un opérateur pour plusieurs années).
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L’extinction programmée du statut de cheminot
Avec l’arrivée de la concurrence, M. Spinetta propose un « nouveau contrat social » aux salariés de la SNCF, intégrant « la question de l’évolution du statut ».
Le texte invite la SNCF à « se poser la question de l’opportunité de poursuivre des embauches dans un cadre statutaire qui ne lui permet plus de faire face à ses enjeux concurrentiels. » Autrement dit, les nouveaux arrivés n’auront plus le statut de cheminot, lequel sera réservé aux anciens et s’éteindra de lui-même dans une trentaine d’années.
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Les petites lignes sur la sellette
Pour M. Spinetta, il faut « recentrer le transport ferroviaire sur son domaine de pertinence : les transports du quotidien en zone urbaine et périurbaine et les dessertes à grande vitesse entre les principales métropoles françaises ». Adieu le tortillard de campagne !
« Il paraît impensable de consacrer près de 2 milliards d’euros à seulement 2 % des voyageurs, grondent les auteurs du rapport. Le maintien des lignes héritées d’une époque où le transport ferroviaire était l’unique moyen de déplacement doit être revu. »
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La priorité à la régénération confirmée
En écho aux incidents de 2017 à la gare Montparnasse à Paris, le rapport Spinetta rappelle qu’autour des grandes métropoles, les trains du quotidien circulent sur un réseau vieux et inadapté au transport de masse. Il exhorte à continuer « l’immense effort » de modernisation entrepris depuis 2013, qui « doit être et rester la priorité pour les vingt ans à venir ».
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Le TGV arrêté dans son expansion
Plutôt qu’une nouvelle extension du réseau français de lignes à grande vitesse, jugé « abouti » par le rapport Spinetta, les experts préconisent de régénérer les lignes les plus anciennes comme Paris-Lyon, Paris-Tours et Paris-Lille.
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Le fret ferroviaire filialisé
L’activité de transport de marchandises de la SNCF, en grave déficit chronique, doit être recapitalisée. « Ceci implique une filialisation qui sera exigée par Bruxelles car une recapitalisation a déjà eu lieu en 2005 », explique M. Spinetta. La dette du fret (plus de 4 milliards d’euros) serait alors conservée par SNCF Mobilités.
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Les gares et la police ferroviaire rattachées à SNCF Réseau
Le rapport Spinetta suggère de clarifier les rôles des nombreuses entités du groupe ferroviaire. Il recommande un rattachement à SNCF Réseau de la filiale Gares & Connexions (dépendant de SNCF Mobilités) et de la sûreté ferroviaire qui est un élément de l’EPIC de tête.
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