« Si nous nous en sortons bien du coronavirus, je suis optimiste sur la réouverture du Canfranc »

Mar 27, 2020 | Ferroviaire, Presse espagnole, Relations transfrontalières

HERALDO DE ARAGON
27/3/2020
Ramón J. Campo

Julián Herrezuelo, de 95 ans, et Mercedes Barba Caudevilla, de 87, les doyens semble-t-il de Canfranc, ont une mémoire prodigieuse de ce qui s’est passé il y a un demi-siècle (le 27 mars 1970) quand le train de maïs est tombé du pont de l’Estanguet et a interrompu la ligne internationale Saragosse-Canfranc-Pau, ouverte en 1928. Avec cet accident sont partis en fumée les rêves de cette vallée, le travail qu’avaient presque 300 personnes à la gare de Canfranc (agents de Renfe et de douane, ouvriers affectés au transbordement des marchandises, polices espagnole et française, ainsi que l’hôtel de la gare) et la population du village a réduit de moitié, selon l’Institut National de la statistique (de 1.027 habitants en 1970 à 540 en 2019).
Julián Herrezuelo et sa femme ont vu leur salon de coiffure sérieusement affecté par la fermeture du passage car ils avaient pas mal de clients du Béarn, jusqu’à Oloron, et du personnel de la gare. “Cela a été une perte sévère mais nous ne pensions jamais que la ligne resterait fermée. C’est triste de voir qu’il ne reste que la population sédentaire, après le départ de ceux de Renfe, de la Guardia Civil, de la douane et du transbordement”, précise le coiffeur en retraite. “Entre la fin du transbordement et la mode des cheveux longs des Beatles, nous avons beaucoup perdu”.
Quant à Mercedes Barba Cuadevilla, qui était alors une “jeune fille à marier”, comme elle le rappelle, elle travaillait au transbordement des oranges des trains espagnols sur les trains français, tout en assurant la garde des enfants des familles qui logeaient à l’hôtel de la gare, ce qui lui plaisait bien. “Le salaire n’était pas élevé, mais il avait le mérite d’exister”, ajoute-t-elle. Mais ses deux emplois se sont envolés avec le train et il a fallu trouver autre chose. Il y avait la solution de s’en aller, comme l’ont fait de nombreuses familles de Canfranc. “Tout s’est effondré et les 300 emplois de Renfe sont partis, comme les adultes sans emploi ”.
Les deux canfranquais venaient souvent à la gare voir passer les trains et monter et descendre les passagers, ou se rendre au restaurant, qui était alors très couru. Ce 27 mars 1970, Mercedes était à la gare et a appris ce qui s’était produit au pont de l’Estanguet car le train de maïs n’est pas arrivé, mais elle n’imaginait pas comment cela allait se terminer.
Pour Julián et Mercedes, il est clair que cet accident a été “un prétexte” qu’a utilisé la France pour fermer la ligne internationale parce qu’elle “ne les intéressait pas” en raison de “la concurrence des oranges” ou “pour d’autres raisons”.
“Comment peut-on croire que le machiniste ait quitté son poste juste avant de franchir le pont de l’Estanguet et que se produise l’accident? Il allait à faible vitesse, quel hasard ! Le train est tombé ou on l’a précipité ? Apparemment les français n’aimaient pas ce train”, commente ironiquement Mercedes Barba. Pour Julián aussi, sans entrer dans le détail de l’incident, “le train n’intéressait pas les français, voilà tout”.
De toutes façons, ce convoi de marchandises était composé de deux machines et neuf wagons qui transportaient le maïs en provenance du Béarn, et qui est aujourd’hui acheminé par camions jusqu’à la frontière, et l’entreprise Silos de Canfranc veut revenir au transport en trains jusqu’à Martorell.
Mariano Aso, le maire de Canfranc à l’époque, qui tenait l’agence de douane, racontait que le chef de gare côté français l’avait prévenu l’année précédente que le train cesserait de transporter en 1970 les centaines d’espagnols qui se rendaient au Sanctuaire de Notre Dame de Lourdes, un site où serait apparue la Vierge en 1858 et qui est devenu un lieu de pèlerinage chrétien pour soigner les malades.
On ne sait pas pourquoi la nouvelle de la fermeture du passage international n’a été publiée qu’en septembre 1970, dans les dernières années de la dictature franquiste, dans l’espoir que les français le rouvriraient, mais avec le temps, l‘expérience a donné raison à ces deux canfranquais. Le trafic international est resté suspendu après la chute du train du pont métallique, le détruisant.
50 ans plus tard, la gare de Canfranc a retrouvé son aspect avec la restauration entreprise par le gouvernement d’Aragón (le chantier devrait se terminer en 2022) et les plus âgés peuvent avoir l’illusion de la revoir comme neuve. “Aujourd’hui ce sont les français qui poussent à la roue, plus que les espagnols, pour la réouverture. Chaque fois que vient Alain Rousset (président de la région Nouvelle Aquitaine), il remue ciel et terre pour la rouvrir”, estime Julián Herrezuelo. “Je suis optimiste pour la réouverture comme avant, si nous sortons du coronavirus. Nous sommes confinés à la maison et je n’avais jamais rien vu de pareil”, affirme le canfranquais, qui a trois petits-enfants d’une fille qui réside à Madrid, et un fils à Jaca qui travaille au tunnel routier du Somport.
Mercedes est plus incrédule sur la réouverture de la ligne, en bonne montagnarde, ce qui ne veut pas dire qu’elle ne souhaite pas ardemment revivre sa jeunesse. “En France je ne sais pas si tous le souhaitent. Le tunnel reste muré. Ici, nous sommes davantage intéressés, mais je ne le vois pas encore clairement ”, reconnait-elle. Elle apprécie la restauration de la gare où elle a grandi. “je m’en réjouis beaucoup. Mais nous verrons si cela apporte du travail quand tout sera remis en état. Elle est toute neuve, bien que différente de l’origine, mais elle est très belle”, conclut-elle.

Mercedes et Julián devaient participer à la manifestation prévue par la mairie de Canfranc, mais celle-ci est suspendue en raison de la crise du coronavirus. Ils préparaient leurs costumes de scène, comme pour chaque 18 juillet depuis plusieurs années, pour la reconstitution historique. Et les membres de Crefco (Coordinadora por la Reapertura del Ferrocarril Canfranc-Olorón), qui avaient prévu une manifestation ce samedi avec leurs homologues français de Creloc (Comité pour la Réouverture de la Línea Oloron-Canfranc), ont également dû la reporter jusqu’à ce que les deux pays sortent de la pandémie.
Le président de Crefco, Javier Garrido, explique que la mobilisation prévue avec Creloc a été suspendue suite aux mesures adoptées par les deux pays pour contrôler l’expansion du coronavirus. Les deux organisations avaient préparé une manifestation en vallée d’Aspe, en gare de Bedous qui, depuis le rétablissement du service ferroviaire en 2016, est devenue le terminus de la ligne qui rejoint Pau, que desservent les trains de la SNCF.

“Cette action devait se compléter par le parcours d’un des ouvrages d’art les plus spectaculaires de la ligne, le tunnel hélicoïdal de Sayerce qui, sur 1.793 mètres de longueur, permet à la voie de franchir presque 62 mètres de dénivelé”, détaille García. “Outre ceux qui viendraient par leurs propres moyens, plusieurs autobus étaient affrétés par Crefco pour amener à Bedous les participants espagnols. Quand les circonstances sanitaires le permettront, Crefco et Creloc décideront d’une nouvelle date”, conclut-il.

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