Rapprochement Béarn – Bigorre : c’est « je t’aime, moi non plus »

Fév 1, 2018 | Aérien, Economie, Presse française

 

© nicolas sabathier / N. Strippe
  • Rapprochement Béarn - Bigorre : c'est
    A l’image des montagnes réputées pour ne jamais se rencontrer (ici les pics du Midi d’Ossau et de Bigorre), les responsables béarnais et bigourdans ont du mal à concrétiser leur alliance.
  • Rapprochement Béarn - Bigorre : c'est
    François Bayrou, Maire de Pau
  • Rapprochement Béarn - Bigorre : c'est
    Gérard Trémège, Maire de Tarbes
  • A l’image des montagnes réputées pour ne jamais se rencontrer (ici les pics du Midi d’Ossau et de Bigorre), les responsables béarnais et bigourdans ont du mal à concrétiser leur alliance.

    © nicolas sabathier / N. Strippe

 

Par Mathieu Houadec, publié le .

Des élus bigourdans ont lancé un appel au Béarn pour faire destin commun. Leurs homologues du 64 répondent poliment, mais sont unanimes : le Béarn d’abord !

Mariage Béarn-Bigorre, nouvel épisode. Début 2018, dans leurs vœux, plusieurs élus bigourdans ont appelé à un rapprochement « concret et rapide » entre les deux territoires. Une demande qui n’est pas inédite, puisque plusieurs fois dans leur histoire, Béarn et Bigorre se sont fait les yeux doux. Pour autant de mariages ratés. Et l’idylle contrariée risque de perdurer. Côté béarnais, même si on souligne la proximité et les collaborations déjà existantes avec le voisin bigourdan, on reste ferme : « Béarn first » !

« L’illusion de l’isolement »

Sur les terres bigourdanes, la chose paraît pourtant entendue. « C’est le sens de l’histoire », clame haut et fort le maire de Tarbes et président de la communauté d’agglomération de Tarbes-Lourdes-Pyrénées, Gérard Trémège. Un avis partagé par son fidèle lieutenant et premier adjoint au maire, François-Xavier Brunet, également président de la Chambre de commerce et d’industrie tarbaise. A ses yeux, le mariage Béarn-Bigorre « relève de l’évidence ». Son argumentaire est double : Pau et Tarbes sont « trop éloignées » de leurs métropoles respectives (Bordeaux et Toulouse) pour profiter de leurs largesses, le tout dans des régions devenues « gigantesques », qui « [nous] laisseront pour compte ». Et d’ajouter, en ciblant le Béarn sans le nommer : « Il faut également sortir de l’illusion splendide de l’isolement. Seul, personne ne peut s’en sortir. »

L’union fait la force donc. Une conviction que partage Michel Pélieu, président du conseil département des Hautes-Pyrénées : « Les territoires bigourdan et béarnais ont vocation à former un seul et même espace métropolitain de piémont. Il y a une réelle complémentarité entre eux. La collaboration existe déjà, notamment entre conseils départementaux, il faut l’accentuer, la développer dans l’intérêt commun de nos deux territoires. »

« La collaboration concrète patine »

Des professions de foi qui semblent avoir bien du mal à susciter de l’enthousiasme, voire même à trouver des oreilles réceptives côté béarnais. Même si certains font usage de diplomatie, comme le président du conseil départemental des Pyrénées-Atlantiques, Jean-Jacques Lasserre. Ce dernier loue « les bonnes relations » avec son homologue bigourdan Michel Pélieu ou les raisons, géographiques et culturelles, qui « militent » pour le rapprochement des deux territoires, mais concède tout de même que le sujet est « un vieux serpent de mer ».

Le président de la CCI Pau-Béarn, Didier Laporte, reconnaît pour sa part que « s’allier sur des gros projets » procure un « avantage certain » et qu’il serait « idiot » de refuser une collaboration avec le voisin bigourdan, qui partage « une même culture ». Pour autant, il est clair : « Nous avons lancé une démarche d’attractivité sur tout le territoire du Béarn. Et pour une question de cohérence, nous devons avoir d’abord quelque chose de fort sur notre territoire avant de nouer des collaborations extérieures. C’est d’ailleurs même une urgence à mes yeux. »

Du côté de la cité royale, on se veut même plus direct. François Bayrou, maire de Pau, avait déclaré lors de ses vœux de début d’année : « Je ne dis pas non. Mais à condition de faire quelque chose de réel ensemble et que les projets soient équilibrés. À condition aussi que le Pays de Béarn existe pleinement et ne se retrouve pas dilué dans un ensemble indéterminé. »

Béarn d’abord donc. Avis partagé évidemment par son premier adjoint, qui est également président du syndicat mixte gérant l’aéroport de Pau, Jean-Paul Brin. Ce dernier, qui confie que la collaboration « est possible », regrette les tentatives avortées des dernières années. « Ce qui est dommage, c’est que mis à part dans la presse, la collaboration concrète patine. Pourtant, il y a eu des réunions sur des sujets, pour amorcer des partenariats. Mais, comme par exemple sur l’aéroport (lire Zoom), on ne comprend pas bien pourquoi, d’un coup, les contacts sont rompus… Et je le répète, pas de notre fait. »

Ces entreprises pour qui la frontière n’existe pas

Loin des joutes politiques, certaines entreprises travaillent sans aucun problème des deux côtés « de la frontière.

« A nos yeux, il n’y a pas de différence, pas de frontière », clame Christian Pées, président de la coopérative agricole Euralis. L’entreprise, fondée en Béarn et symbole local, travaille quotidiennement entre son territoire d’origine et la Bigorre. Sans jamais se poser la question. « On est à cheval entre les deux », observe le président. Et pour cause : Euralis a son siège à Lescar, et un de ses sites les plus stratégiques à Maubourguet, en terre bigourdane. Pour autant, pas de quoi troubler l’activité de la coopérative. Aux yeux de Christian Pées, Bigorre ou Béarn, « c’est la même chose ». « Ces deux territoires ont les mêmes paysages, la même agriculture, les mêmes problématiques. C’est au final un bassin de vie commun », note-t-il.

Une frontière, mais régionale

D’ailleurs, pour lui, la « vraie frontière » n’est pas entre le Béarn et la Bigorre, mais entre Nouvelle-Aquitaine et Occitanie. « C’est incompréhensible de notre point de vue : sur un bassin de vie similaire, on assiste à des accompagnements différenciés au niveau régional. Ce qui nous oblige à des approches différenciées. » « Bref, conclut Christian Pées, si un rapprochement entre les deux entités devait avoir lieu, il ne pourrait, à mon avis, qu’être bénéfique. »

L’exemple N’Py

D’ailleurs, quand les élus se mettent d’accord, la coopération entre Béarn et Bigorre peut donner de beaux résultats. Le réseau de stations de ski N’Py en est le parfait exemple. Les deux voisins œuvrent main dans la main pour rendre leurs stations attractives sur toutes les Pyrénées et même au-delà. « Face à une problématique commune, à savoir un marché du ski très concurrentiel, Béarnais et Bigourdans se sont serré les coudes, car ils savaient que, tout seuls, ils n’y arriveraient pas, souligne Guillaume Roger, directeur opérationnel de N’Py Résa. Aujourd’hui, cette confiance réciproque se perpétue face aux résultats obtenus. Car il est plus facile de parler d’une marque autour d’un symbole fort, comme les Pyrénées, que d’une station seule. Évidemment, si la collaboration politique entre Béarn et Bigorre s’affirmait, par exemple pour l’aéroport, ça ne pourrait être que bénéfique pour nous. »

Pendant ce temps-là, le « Pays de Béarn » est né

Le préfet Gilbert Payet a signé le 18 janvier dernier l’arrêté de création du pôle métropolitain « Pays de Béarn.

C’est en mars que le Pays de Béarn sera porté sur les fonts baptismaux. Ce nouveau territoire se donnera alors un président, des vice-présidents, un bureau et un conseil de développement.

La naissance officielle de ce pôle métropolitain, permis par la loi NOTRe, date du 18 janvier dernier. C’est ce jour-là qu’un arrêté du préfet des Pyrénées-Atlantiques, Gilbert Payet, a autorisé la création de cette nouvelle entité. Rassemblant 7 des 8 intercommunalités béarnaises (1), le Pays de Béarn se veut le pendant de la communauté d’agglomération du Pays basque.

Il n’y a que la communauté de communes du Pays de Nay qui, dans le rôle du village gaulois irréductible, se refuse à rejoindre le pôle métropolitain. « Une structure type syndicat mixte nous paraît trop contraignante », explique son président, Christian Petchot-Bacqué. Lequel précise que dans sa communauté, il accueille déjà deux communes bigourdanes qui ne peuvent, selon lui, appartenir à deux pays différents. Ce dernier, pas hostile à un espace de réflexion sous forme associative, n’exclut pas de revoir sa position dans un second temps. La porte lui reste ouverte.

A cette dissidence près, « le Pays de Béarn retrouve ainsi l’unité et la personnalité qui furent les siennes comme Etat souverain ou comme province durant le dernier millénaire », affirme notamment sa charte de fondation. Cette même charte précise les domaines de « libre coopération fondée sur le volontariat et la mutualisation de leurs forces » dans lesquels œuvrera le pôle métropolitain : tourisme, université et recherche, transports et infrastructures, politique culturelle et linguistique, développement durable.

Une idée vieille de plus de 20 ans

La décision du préfet avalise ainsi la proposition des intercommunalités concernées prise en commun le 25 novembre 2015. Le projet de Pays de Béarn avait été relancé par François Bayrou en octobre 2014, quelques mois après son élection à la mairie de Pau. On se souvient qu’il avait déjà été question de ce « pays » il y a plus de 20 ans. Une initiative commune, classée sans suite, en vue de sa création avait été prise fin mars 1997 par André Labarrère, député-maire de Pau, et François Bayrou, alors président du conseil général des Pyrénées-Atlantiques.

Aujourd’hui, ce dernier se réjouit de cet aboutissement : « C’est un moment très important. C’est le top départ de la création d’une véritable institution qui réunit quasiment toutes les intercommunalités béarnaises pour bâtir ensemble une politique tournée vers l’avenir. »

(1) CDA Pau-Béarn-Pyrénées, CC Lacq-Orthez, Nord-Est Béarn, Haut-Béarn, Luys en Béarn, Béarn des Gaves, vallée d’Ossau.

Les aéroports, pomme de discorde entre Béarn et Bigorre

Officiellement, cela n’a rien à voir. Et pourtant : si l’invitation des Bigourdans à une alliance trouve si peu d’écho en Béarn, la question de(s) aéroport(s) n’y est pas étrangère. Certains élus béarnais doutent des réelles motivations de leurs homologues bigourdans. « Quand tout se passe bien pour leur aéroport de Tarbes-Lourdes, on n’entend pas parler de collaboration renforcée. Et quand, comme actuellement, la situation devient tendue [un conflit entre les collectivités locales bigourdanes et Air France au sujet du dédommagement de l’OSP (obligation de service public) pour la ligne Tarbes-Paris, NDLR], ils relancent l’affaire. Sans d’ailleurs venir nous en parler avant, en faisant les questions et les réponses par voie de presse… » Côté bigourdan, on invite une nouvelle fois à la collaboration… en montrant un brin les muscles. Michel Pélieu, premier vice-président de Pyrénia – le syndicat mixte qui gère l’aéroport de Tarbes-Lourdes-Pyrénées – glisse : « Une gouvernance commune aurait été souhaitable, en gardant les deux sites. Dans tous les cas, il faut être clair sur une chose : la ligne Tarbes-Paris ne sera pas abandonnée. Elle est d’ailleurs complémentaire de l’offre paloise. »

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