Le projet de loi PACTE pour la croissance des entreprises prévoit la suppression de l’obligation pour l’État de détenir la majorité du capital d’Aéroports de Paris (ADP), ouvrant ainsi la voie à sa privatisation. L’exemple des autoroutes doit-il inquiéter ?
La privatisation des aéroports constitue un mouvement de fond dans le monde, porté par une croissance exponentielle d’un trafic aérien exigeant de lourds investissements, et la mue des aéroports en de véritables villes aux performances financières attrayantes.
Au moment où le gouvernement veut privatiser le groupe ADP qui gère notamment les aéroports de Paris, cette initiative provoque des critiques, l’exemple des autoroutes montrant que l’État peine à reprendre la main quand les prix augmentent.
Quelles sont les privatisations les plus récentes en France ?
En avril 2015, l’État avait vendu 49,99% du capital de la société de gestion de l’aéroport de Toulouse à Casil Europe, holding française créée par un groupe d’État chinois et un fonds d’investissement hongkongais. Il en a gardé 10,01%.
Les conditions de cette vente avaient provoqué de vives critiques, la Cour des comptes la qualifiant même d’' »échec » dans un rapport en novembre, épinglant notamment le « manque d’expérience de l’investisseur chinois ». Ce dernier cherche actuellement à se désengager.
Le processus a été amélioré lors des privatisations en juillet 2016 des aéroports de Nice – remporté par un consortium italo-français mené par Atlantia – et de Lyon – acquis par un consortium français mené par Vinci Airports – avec des « critères de recevabilité des candidats plus exigeants » et « des exigences de transparence financière renforcées », selon la Cour. Ces trois privatisations ont rapporté 2,06 milliards d’euros.
Un investissement judicieux ?
Le chiffre d’affaires d’un aéroport inclut les recettes tirées des activités aéronautiques mais aussi celles générées par les commerces, les parkings et les activités immobilières sur la zone aéroportuaire.
« Les aéroports métropolitains se sont révélés être des actifs profitables pour les court, moyen et long termes, et des investissements peu risqués. »
ADP a réalisé un bénéfice net de 610 millions d’euros en 2018, en progression de 6,9% sur un an. Le dividende de 3,70 euros par action, soumis au vote de l’Assemblée générale du 20 mai, correspond à un taux de distribution de 60% du bénéfice.
« Les aéroports métropolitains se sont révélés être des actifs profitables pour les court, moyen et long termes, et des investissements peu risqués, compte tenu de la conjoncture et des perspectives favorables du trafic aérien », estime la Cour des comptes. D’autant que le marché est porteur : selon l’Association internationale du transport aérien (IATA), le nombre de passagers dans le monde devrait doubler d’ici 2037.
Et ailleurs dans le monde ?
De plus en plus d’États se désengagent de la gestion des aéroports, face surtout aux besoins de liquidités et d’investissements faramineux pour développer ou rénover ces plateformes.
Selon un rapport sur l’actionnariat des aéroports européens publié en 2016 par l’Airport Council International (ACI), 46,8% des sociétés d’exploitation aéroportuaire comptaient de l’actionnariat privé, contre seulement 23% en 2010.
Au niveau mondial, « il existe encore de fortes disparités entre les régions« , estime le cabinet de conseil Sia Partners dans une étude publiée en juin. « Pendant que l’Europe et l’Asie connaissent un mouvement de privatisation rapide, l’actionnariat et la gouvernance publique restent largement majoritaires en Amérique du Nord, au Moyen-Orient, et en Afrique. »
En quoi la privatisation des autoroutes sert-elle d’épouvantail ?
Les contrats liant des sociétés autoroutières à l’État sont souvent vilipendés – notamment lors du mouvement des gilets jaunes- et le gouvernement n’a que peu de prise sur les augmentations annuelles des tarifs.
L’équation économique est pourtant assez simple : l’État a touché 17 milliards d’euros dans le processus de privatisation des autoroutes achevé par Dominique de Villepin en 2006, et s’est débarrassé de 20 milliards de dette publique.
Les nouveaux propriétaires ont de leur côté déboursé 22,5 milliards d’euros pour racheter les sociétés autoroutières – ce que Vinci, Eiffage ou Abertis ont payé à l’État et aux autres actionnaires minoritaires – et ont repris au total 30 milliards de dette. Ils y ont depuis investi 24 milliards et ont versé près de 30 milliards d’impôts et taxes à l’État. Leur objectif est évidemment de rentrer dans leurs frais avant la fin de leurs contrats, d’une durée de 25 à 30 ans.
Les péages sont strictement encadrés, leurs augmentations annuelles étant planifiées dans des conventions très précises passées avec l’État. Le moindre chantier supplémentaire doit faire l’objet d’un avenant, et se traduit systématiquement par des péages plus chers ou une prolongation de la concession. Une renationalisation est souvent évoquée, et le Sénat doit examiner jeudi une telle mesure proposée par Parti communiste. Elle coûterait 50 milliards d’euros, selon le gouvernement.