Aquitaine et Aragon ont réaffirmé hier leur volonté de rouvrir la ligne ferroviaire. Le point sur les raisons d’y croire et les défis qui restent à relever.
« Impossible n’est pas aquitain ! » a glissé, tout sourire, Alain Rousset, président de la région Aquitaine-Limousin-Poitou-Charentes. Avec son partenaire aragonais Javier Lambán Montañés, président du gouvernement d’Aragon, il a signé hier, à la gare internationale de Canfranc (Espagne), une déclaration commune pour la réouverture de la ligne ferroviaire Pau-Canfranc. Mais surtout, les deux hommes ont lancé un appel à manifestation d’intérêt (AMI), pour tout partenaire – même et surtout privé – souhaitant se joindre au projet.Pour autant, la réouverture de la ligne est-elle réellement proche ?Ce dernier épisode « accélère fortement le projet » d’après les signataires, mais les défis à relever restent encore grands. Quels sont ses atouts ? Les difficultés ? Explications.
1. Un boom économique
C’est le principal argument des défenseurs du projet, notamment du côté aragonais. Comme le précisait encore hier Javier Lambán Montañés : « Le retour de cette liaison est fondamental pour l’économie aragonaise. Il faut considérer notre région comme une plate-forme logistique déjà connectée aux grands ports de Valence, Barcelone ou Bilbao, mais qui a aussi besoin de liens avec la France, et donc avec l’Europe. » Et Alain Rousset de compléter que la réouverture « redynamisera nos régions respectives, mais avec le passage apporté, évidemment aussi toute la vallée d’Aspe ».
2. Développer le fret
Le développement économique tant attendu se fera notamment grâce au transport de marchandises possible sur cette voie. Objectif avoué : 1,5 million de tonnes par an. Alain Rousset y croit dur comme fer, pour deux raisons essentielles. Un, pour faire du report modal, à savoir transférer des marchandises normalement transportées par camion sur un train. Et de justifier : « Quand on voit qu’à Lescun, où j’étais mardi soir, il y a un camion toutes les trente secondes… il y a un vrai potentiel. » Et deux, profiter de l’exception géographique de la ligne. « Les Pyrénées, ce sont 400 kilomètres de frontière naturelle entre la France et l’Espagne, avec une seule voie ferroviaire en plein milieu : la nôtre. Ouverte, elle dispensera de nombreux professionnels du détour par Hendaye ou Perpignan/Figueras. »
3. Le tourisme
Dernière carte pour la réouverture, le développement du tourisme.« Nous avons un atout exceptionnel avec trois stations de ski dans la zone du tracé », commente Alain Rousset, avant d’ajouter : « Mais il n’y a pas que ça : nos vallées ont d’autres atouts, qui feront venir du monde. Il y 400 000 touristes par an sur le train jaune entre Villefrance-de-Conflent et Latour-de-Carol. J’aimerais arriver à ça ici. »
4. Quel financement ?
C’est la question centrale de tout le projet. Le coût estimé est de 300 à 400 millions d’euros, que ne peuvent assumer seules l’Aquitaine et l’Aragon. Il faut donc des partenaires, sachant que l’État français rechigne à financer. « J’aimerais pourtant être éligible au grand emprunt », souffle Alain Rousset. Du coup, avec son homologue aragonais, l’élu girondin a établi une double stratégie : d’un côté, mettre en avant l’accord politique commun signé et l’aspect européen de la ligne pour aller plaider leur cause à Bruxelles et obtenir des subventions. Et de l’autre, l’AMI. Avec ce dernier, les élus jouent sur la libéralisation du transport ferroviaire en France, et cherchent à attirer des opérateurs privés, qui pourraient non seulement aider au financement des travaux mais aussi assurer l’exploitation de la ligne. Sous la forme d’un partenariat public-privé ? Alain Rousset reste vague : « On verra. Il faut inventer quelque chose, et avoir l’appui de Bruxelles. »
5. Défi technique ?
Des pentes allant jusqu’à 43 pour mille, des fortes courbes, un tunnel hélicoïdal, le passage des rampes, etc. Le deuxième tronçon de la ligne est ardu. Mais pas de quoi faire peur à Alain Rousset, qui balaye d’argument d’un revers de la main : « Si nos aïeux y sont arrivés à la fin du XIXe siècle, on va bien pouvoir le faire nous aussi au XXIe ! Surtout que leurs réalisations (ponts, tunnels, etc.) sont restées dans un état exceptionnel ! »
Quid du calendrier ? L’AMI devrait être finalisé d’ici l’été. Quant à la ligne en elle-même, les prévisions restent les mêmes, « pour l’instant ». A savoir rien avant 2020.
Les opposants toujours pas convaincus
Georges Manaut, de l’association CROC (Contre la réouverture d’Oloron-Canfranc), ne croit toujours pas à cette réouverture : « Avec la déclivité de la voie, le fret sera limité à 300 tonnes par train, voire 600 avec deux locomotives. Alors qu’ailleurs, on parle de convoi à 2 000 tonnes minimum. Bref, rouvrir cette ligne avec cet argument, c’est un non-sens, mais surtout du gaspillage ! »