En quinze jours, le trafic ferroviaire de la gare Saint-Jean a été paralysé trois fois par des pannes d’électricité. La SNCF est pointée du doigt pour sa mauvaise communication.
Difficile d’en douter désormais, la canicule et la SNCF, ça fait deux. La preuve en est à la gare Saint-Jean, à Bordeaux, qui comptabilise depuis fin juin pas moins de trois pannes géantes à son actif à cause de la chaleur. Et à chaque fois, le même résultat : une gare qui prend des allures de cocotte-minute, un trafic ferroviaire entièrement paralysé pendant des heures, la pagaille en coulisses et des voyageurs dont les nerfs sont mis à rude épreuve. Lundi, entre 16 h 30 et 18 heures, le trafic est resté paralysé (lire « SO » de mardi).
Petit retour dans le temps pour comprendre l’origine de ces perturbations à répétition. Le premier incident lié aux fortes chaleurs remonte au 26 juin : « Un train qui sortait du dépôt et rejoignait la gare a rencontré un problème avec son pantographe qui a endommagé un support de sa caténaire. Une coupure d’électricité en urgence a dû être effectuée », rapportait il y a quinze jours le service communication de la SNCF.
La SNCF dans le flou
Renseignements pris, le pantographe est une sorte d’antenne placée sur le toit du train. Ce dernier vient ainsi frotter la caténaire grâce à son archet pour capter l’électricité. L’été, quand le mercure grimpe, la dilatation des caténaires peut provoquer des distensions et… perturber l’accroche du pantographe. C’est précisément ce qui pourrait s’être passé.
Pourrait ? Difficile en effet d’en avoir confirmation car du côté de la SNCF, c’est silence radio. « Des experts mandatés depuis Paris doivent arriver dans les prochains jours pour nous en dire plus. Nous prendrons la parole à ce moment-là », indique la communication. Deux semaines plus tard donc. En attendant, le scénario s’est répété deux fois à l’identique à la gare Saint-Jean (le 2 et le 8 juillet) provoquant une coupure d’urgence et une immobilisation de tout le périmètre sur fond de système électrique vieillissant. Ce qui amène les passagers à s’interroger en masse, notamment sur les réseaux sociaux : « Est-ce que ça va encore recommencer ? »
Si l’on en croit une note interne à laquelle nous avons eu accès, ça n’aurait peut-être même dû jamais arriver : « Des incidents récents montrent qu’il y a un risque d’incident caténaire […] en cas de fortes chaleurs. » Envoyée dans la région Rhône-Alpes, cette note de sécurité tamponnée « urgent » invite les conducteurs à réduire leur vitesse à 5 km/h quand la température dépasse les 30°. De toute évidence, Bordeaux n’a pas eu le message (lire ci-contre).
Une com qui fait débat
Côté voyageurs, Marie-Claude ne décolère pas. Comme des centaines d’autres, elle fait partie des passagers qui, ce lundi, se sont retrouvés à longer à pied les voies pour rallier la gare après s’être extirpés des wagons par la force tant la chaleur était devenue insoutenable. Ce mardi, la SNCF a fini par lui envoyer un mail. Nouvelle douche froide pour la septuagénaire qui avait fait un malaise : « Ni excuse, ni explication et un bon d’achat de 5 euros. »
« Qu’il y ait des pannes, ok, mais SVP donnez-nous des infos pour nous éviter de poireauter des heures »
Sur Twitter, ces nouvelles perturbations n’ont pas manqué de relancer le débat sur la communication de la SNCF. Une internaute s’insurge ainsi : « Qu’il y ait des pannes, ok, mais SVP donnez-nous des infos pour nous éviter de poireauter des heures et finalement apprendre que notre train a été supprimé. »
Pour être mieux informé, il faudra peut-être encore patienter. L’an dernier, la SNCF a investi 150 millions dans un nouveau programme de l’information voyageurs : l’Information First. Son déploiement sur tout le territoire devrait prendre fin en 2020.
Cette note jamais arrivée à Bordeaux
Deux des trois derniers incidents ont été provoqués par des trains sortant de maintenance sur des voies de service. En période de grandes chaleurs, des incidents électriques peuvent se produire. C’est la charge du pantographe (le bras articulé qui permet à la locomotive d’être alimentée en électricité) qui semble être en cause. Il y a deux semaines, Sud Rail (région Paris Sud-Est) avait déposé un droit d’alerte sur le sujet, puisqu’elle affichait une divergence de vue avec la direction. La multiplication des incidents à Bordeaux et ailleurs a finalement été prise en compte. Une note de sécurité a ainsi été diffusée (notre photo). « Le problème est que personne n’en a vu la couleur à Bordeaux, déplore un syndicaliste girondin. Cela révèle les gros problèmes de communication dans cette entreprise, et à la fin, ce sont les usagers qui trinquent. »
Que dit-elle ? Que sur les voies de service, comme celles de la gare Saint-Jean, « en mesures conservatoires jusqu’à clarification des règles à appliquer par les experts nationaux, il est décidé d’appliquer une vitesse, d’appliquer une réduction de vitesse de 5 km/h d’office […] en cas de fortes chaleurs (dans un contexte de température ambiante élevée supérieure à 30°. Ceci est une mesure de précaution destinée à préserver la production. La mesure est immédiatement applicable jusqu’à nouvel ordre ». A condition bien évidemment d’avoir pris connaissance de cette prescription. Ce qui n’est pas le cas de la gare Saint-Jean. Un problème de « fluidité » dans la transmission de l’information qui vient s’ajouter à un système électrique qui demande à être rénové.
« Des équipements du siècle dernier »
« Si la SNCF avait tiré les leçons de l’incident intervenu à la fin du mois de juin, on aurait probablement évité la situation d’hier », cingle Christian Broucaret, président de la Fnaut (Fédération nationale des usagers). Les problèmes de pression sur le pantographe ont la fâcheuse tendance à mettre la gare en rideau.
Électricité hors d’âge
Plus globalement, c’est le système électrique de la gare Saint-Jean qui semble hors d’âge. « La gare Saint-Jean a des équipements qui datent du siècle dernier, or, elle doit entrer dans plain-pied dans le XXIe siècle. Cela pose un problème, car, en termes de report modal, les gens peuvent se détourner du train », poursuit-il. Parmi ces équipements datant du XXe siècle, le président de la fédération des usagers en liste trois. Le premier est un peu l’organe vital d’une gare : l’électrification. Pour faire simple, il n’y a qu’un seul disjoncteur pour toute la gare Saint-Jean. Quand il saute, il faut entre trois et quatre heures pour un retour à la normale. Soit exactement le temps qu’ont duré les trois incidents notables de ces derniers jours. Or, il existe des possibilités pour compartimenter. Mais cela appelle des investissements.
Christian Broucaret pointe également deux talons d’Achille : la taille des quais, trop bas, si bien qu’il faut faire un bond de plusieurs dizaines de centimètres pour descendre des TGV et autres TER dernière génération, et enfin l’accessibilité. Pour les personnes à mobilité réduite d’abord : « Il n’y a pas suffisamment de pans inclinés, ce qui oblige les personnes à parcourir des centaines de mètres », déplore-t-il. Il pointe, par ailleurs, le manque d’un second sous-terrain pour desservir les différents quais
Efforts à faire
« Il y a des gros efforts à faire sur le volet équipement lourd. Elle est formatée pour 7 millions de voyageurs. Or, nous sommes aujourd’hui autour des 11 millions. » Il ne faut donc pas se fier aux apparences. Si l’écrin de la gare Saint-Jean se révèle rutilant : nouvel aménagement – une verrière, qui en avait grand besoin, refaite à neuf moyennant un peu plus de 50 millions d’euros – les organes vitaux appellent à d’urgentes rénovations. Des sujets qui ne seront pas réglés en un claquement de doigt. En revanche, pour éviter les scènes vécues hier, il existe des solutions très simples : « Une motrice (locomotive, NDLR) thermique qui peut ramener les trains bloqués jusqu’aux quais », avance Christian Broucaret. Mais cela aussi semble poser problème.