A mi-mandat, Alain Rousset, président de Nouvelle-Aquitaine dresse un bilan positif de la fusion entre les trois anciennes Régions mais déplore néanmoins plusieurs décisions trop libérales et trop centralisatrices du gouvernement.

A l’heure de la mi-mandat, la fusion des Régions vous semble-t-elle positive ?

Alain Rousset Oui, je la trouve positive. D’abord, parce qu’il est nécessaire et sain de se remettre en cause et d’analyser les expériences que chacune des trois ex-Régions pouvait avoir dans ses compétences de développement économique, d’aménagement du territoire, de transports, d’universités ou de formation. Et puis, j’ai toujours cet appétit de découvrir des nouveaux projets, des nouvelles aventures, des nouvelles personnes.

Je reste en quête de créativité et de ténacité. Si je devais citer un exemple de découverte extraordinaire, ce serait Microplan, cette entreprise de La Forêt-du-Temple, en Creuse, spécialisée dans le marbre pour l’industrie de l’électronique qui emploie 50 salariés dans un village qui compte 147 habitants.

Certes, mais les grandes Régions ont plus été créées pour faire des économies que pour vous faire découvrir de nouveaux territoires.

Concernant les économies, il n’y a qu’André Vallini (secrétaire d’État à la réforme territoriale du gouvernement Valls, NDLR) qui les avait évoquées. Et, sur ce plan, la Nouvelle-Aquitaine a justement fait des économies, hors l’épisode budgétaire de l’ex-Poitou-Charentes. La vraie raison de la fusion des Régions obéit à la volonté de les doter d’un vrai poids politique face à l’État et face à Bruxelles, de construire également des réseaux économiques, universitaires ou agricoles.

« Qui connaît le mieux les entreprises, sinon la Région, grâce à la proximité et au terrain »

Pour le moment, on a du mal à percevoir ce poids politique.

Parce qu’on n’est pas allé jusqu’au bout de la répartition des compétences entre l’État et les Régions, et parce qu’on vit toujours dans un pays trop centralisé. Je le dis souvent, un pays centralisé ne se réforme pas, il se révolte.

Une PME française est trois fois moins accompagnée qu’une PME allemande et on s’étonne encore de notre désindustrialisation. Pourtant, qui connaît le mieux les entreprises sinon la Région grâce à la proximité et au terrain ?

Les Régions ont de surcroît perdu la compétence de l’apprentissage. Mauvais signe ?

C’est une décision idéologique imputable à une partie du Medef qui voulait mettre la main sur l’apprentissage parce que des entreprises ont du mal à recruter. Mais cela rend très fragile l’existence des petits centres de formation en milieu rural dont la fermeture aurait des conséquences dramatiques sur tout l’écosystème territorial et accélérerait la fracture territoriale que les gilets jaunes ont mise en lumière.

« Malgré nos arguments, on n’a pas réussi à faire recule l’exécutif « 

Les Régions n’ont pas réussi à faire reculer le gouvernement.

Oui, c’est vrai, malgré nos arguments, on n’a pas réussi à faire reculer l’exécutif. Mais, depuis le temps, je commence à avoir l’habitude du rocher de Sisyphe. On monte, on monte, et puis on redescend et il faut recommencer.

Et vous avez le sentiment qu’avec Emmanuel Macron, la France prend le chemin de la décentralisation ?

Hélas, non.

Y a-t-il une Région à deux vitesses avec l’ex-Aquitaine d’un côté, l’ex-Poitou-Charentes et l’ex-Limousin de l’autre ?

Il y a sans doute eu une déstabilisation et des inquiétudes, notamment de la part de Poitiers et de Limoges qui ont perdu leur statut de capitale régionale. Mais il n’y a pas eu, non plus, de réflexe d’hostilité. Et objectivement, à mi-mandat, ces deux ex-Régions peuvent constater les bénéfices de la fusion.

Il est certain que j’ai repris des politiques de l’ex-Aquitaine qui avaient fait leurs preuves pour les appliquer à la nouvelle Région mais j’ai aussi fait appel à des politiques de l’ex-Poitou-Charentes et de l’ex-Limousin qui avaient fait leurs preuves et s’étaient révélées les plus efficaces. À l’inverse, il est également vrai que j’ai aussi mis fin à des politiques mises en place par l’ex-Poitou-Charentes qui n’entraient pas dans les compétences de la Région et qui représentaient des dépenses inutiles.

Si, aujourd’hui, la Nouvelle-Aquitaine est la troisième Région de France pour la création d’emplois, devant des régions historiquement industrielles, c’est bien la preuve que ces recettes ne sont pas trop mauvaises.

Un président pas inquiet pour sa majorité

À croire qu’Alain Rousset finit par être habitué aux menaces des élus écologistes de quitter sa majorité et son exécutif depuis qu’il travaille avec eux, soit vingt ans. Non pas que le président de Nouvelle-Aquitaine balaie d’un revers de main les avertissements des dix-huit élus du groupe EELV qui annoncent leur intention de faire sécession si l’exécutif régional ne fait pas davantage en faveur de la transition énergétique et climatique mais, plutôt philosophe, il souligne que « c’est le lot de toute majorité plurielle, il y a des tensions inévitables ».

« Les écologistes ont beaucoup apporté à toutes les actions menées sur la préservation de l’environnement et de la biodiversité, les politiques de l’eau et du logement. Il y a dix ans, ils ont joué un vrai rôle salutaire de lanceurs d’alerte. Mais la majorité régionale est une grande famille et les turbulences sont normales. »

Alain Rousset estime qu’il faut, de toute façon, faire preuve de patience et de sang-froid quand on gouverne une majorité qui va de Macron à Hamon en passant par les écologistes. Il assure que cet édifice ne se fissurera pas. « La majorité tiendra jusqu’à la fin du mandat, promet-il avec un grand sourire. Vous devriez même me féliciter de parvenir à maintenir un tel équilibre. »

Et pas question pour lui de modifier ses priorités. «  On ne va pas faire table rase du passé, déclare-t-il. Toute l’action de la Région doit s’accomplir à l’aune du changement climatique mais en gardant notre stratégie à l’égard des entreprises, pour prendre ce seul exemple. De même, je constate que le monde agricole est conscient qu’il faut passer à un autre modèle.Mais je ne veux pas non plus culpabiliser les agriculteurs pour un modèle qui leur a été fourni clefs en main par l’industrie agroalimentaire. Tout doit se faire dans la transparence et dans l’accompagnement. »

Le président néo-aquitain affirme enfin que sa conviction environnementale n’est pas opportuniste ou née de la dernière pluie. « C’est l’ex-Aquitaine qui avait été pionnière en demandant un rapport sur le réchauffement climatique régional à Hervé Le Treut, rappelle-t-il. Je crois profondément que le vrai défi des années et des décennies à venir, c’est la transition climatique.Et dans tous les domaines : agriculture, logement, transports, nouvelles énergies. Mais, là encore, cela rejoint mon diagnostic sur la centralisation du pays. Si les énergies renouvelables ont pris tant de retard en France, c’est parce qu’on n’a pas assez délégué aux Régions et parce qu’on s’est appuyé sur un acteur centralisé, en l’occurrence EDF. Il faut que çà change. »

Alain Rousset se dit de même persuadé, comme le lui avait enseigné l’un de ses mentors, Michel Rocard, que l’ultralibéralisme économique, sauce Thatcher ou Reagan, n’a pas seulement provoqué des ravages sociaux mais aussi environnementaux. « Il est impossible de séparer environnement et social », conclut-il.