DIARIO DEL ALTO ARAGON
NICOLAS REBIÈRE
10/11/2023
Quand la ligne Pau – Canfranc rouvrira-t-elle complètement ? Si cette question est attendue avec impatience en Aragon, côté français, les esprits sont plus calmes. Il y a plusieurs explications à cela, la première étant le manque d’intérêt que ce projet suscite à Paris, et donc au gouvernement français.
Tout est une question de géographie : la France est un carrefour, relié au nord-est à l’Europe, par la Belgique et l’Allemagne, au sud-est à la péninsule italienne, et même à l’Angleterre par le tunnel de la Manche, mais aussi au sud-ouest, vers l’Espagne et le Portugal. Depuis le début, les gouvernements français successifs répètent les déclarations d’intention sur le Canfranc, mais on sait bien à Pau et à Bordeaux, que Paris ne souhaite pas financer les derniers kilomètres, qui sont aussi les plus chers. Le dernier Conseil d’orientation des infrastructures a qualifié la liaison de « ligne d’intérêt local », bien qu’elle concerne aussi l’Espagne.
Espoir à Bordeaux, intérêt plus modéré à Pau
A Bordeaux, la Pau-Canfranc, comme on l’appelle ici, a un ardent défenseur : le socialiste Alain Rousset, président de la région Nouvelle Aquitaine et principal acteur de la réouverture d’un premier tronçon entre Oloron et Bedous en vallée d’Aspe. Ce familier de Lescun, en vallée d’Aspe, ne perd pas une occasion, quand il est en Béarn ou même en Aragón, de dire à quel point il souhaite la réouverture de ce qu’il appelle « la ligne Goya », en mémoire du peintre né dans la province de Zaragoza et mort à Bordeaux. Il est allé lui-même à Bruxelles défendre le dossier, obtenant des subventions européennes, très applaudies ici par les partisans de la réouverture.
Certains en Béarn partagent son enthousiasme, d’autres sont plus modérés, comme sont souvent les Béarnais sur bien des sujets. Pendant longtemps, la réouverture a donné lieu à des affrontements entre partisans (généralement de gauche) et adversaires, du centre ou de droite. On aurait pu penser que la perspective d’un chantier gigantesque, les millions d’euros dépensés pour terminer le projet, seraient bien accueillis en Béarn…
Cependant il faut savoir que l’intégration territoriale qui agitait dernièrement la politique locale concerne plutôt… la liaison de Pau avec Paris. Cela peut surprendre, dans un pays centralisé comme l’est la France, mais l’intégration territoriale passe d’abord par la capitale plutôt que par les Pyrénées voisines. « C’est ainsi depuis Henri IV : au Moyen Age, les comtes de Béarn rêvaient d’un royaume pyrénéen, mais depuis son annexion au royaume de France, le Béarn regarde toujours vers Paris », résume Alain Cazenave-Piarrot, président du Comité pour la réouverture de la ligne Oloron-Canfranc.
45 voyajeurs par jour vers Bedous
Dans l’autre camp, Georges Manaut, opposant inconditionnel à cette réouverture aux côtés du CROC (Contra la Reapertura de Oloron-Canfranc) dénonce le manque d’intérêt des voyageurs depuis la réouverture jusqu’à Bedous (45 voyageurs/jour). Pourquoi un tel rejet ? « C’est une question de rentabilité et d’argent public », s’empresse-t-il d’expliquer. « La ligne de Bedous présente un déficit d’exploitation de 1,3 millions par an. Des études révèlent qu’une ligne vers Canfranc pourrait multiplier par 10 ce déficit ».
Et les arguments pleuvent si nous abordons le sujet du transport ferroviaire que pourrait apporter la réouverture de la ligne. Opposants et défenseurs inconditionnels du Canfranc mettent en avant les résultats des études / contre les études sur ce sujet brûlant. Malgré tout, Alain Casenave-Piarrot aimerait penser que les lignes paraissent bouger, chez les politiques du Béarn, en faveur de la réouverture.
Lors de l’inauguration du Pôle multimodal et de la nouvelle gare de Pau, François Bayrou, maire de la ville, ancien ministre et également président du Pays de Béarn, a abordé le sujet, et laissé entendre qu’on pourrait voir le Canfranc « plus vite que nous ne pensons. Il n’est plus acceptable de voir circuler des centaines de camions en vallée d’Aspe ». Des paroles de poids dans la bouche d’un ancien ministre, président du MoDem, principal allié de Renaissance à l’Assemblée nationale française et ami intime d’Emmanuel Macron.
La vieille question de la RN 134
« Pourquoi les habitants du Béarn ne sont pas davantage intéressés par cette ligne, alors qu’ailleurs ils applaudissent à la réouverture de lignes comme celle de Saint-Jean-Pied-de-Port ? Pour l’expliquer, il faut remonter à l’inauguration du tunnel du Somport. A cette époque, il était prévu des contournements routiers des villages de la vallée d’Aspe qui n’ont jamais vu le jour », explique Bernard Uthurry. Le maire d’Oloron, un partisan inconditionnel de la réouverture, qui a été vice-président en charge des transports d’Alain Rousset, résume bien la déception des habitants de la vallée qui voient arriver d’énormes camions sur la RN 134, une route qui n’a de « nationale » que le nom et qui est aujourd’hui le seul axe d’entrée en France par le Somport.
Son opposant à la région, le républicain (de droite) Marc Oxibar, maire d’Ogeu, ne dit pas autre chose, mais il doute que la future ligne Pau-Canfranc soit capable de reprendre le transport des camions. Cependant il reconnait que « le réchauffement global pose la question de l’usage de la voiture dans les vallées comme ailleurs ».
Une fois encore, à droite comme à gauche et au centre, le ressentiment est grand au niveau local, mais également à Paris, après l’abandon depuis de nombreuses années de cette autre liaison, routière cette fois, vers l’Espagne, se contentant des passages basque et catalan pour entrer en France.