La LGV entre Paris et Bordeaux est une réalité, même si son financement reste une question sensible
Les écologistes du Cade craignent des montages périlleux pour les deniers publics afin de payer le tracé au sud de Bordeaux
Le Collectif des associations de défense de l’environnement (Cade) exerce sa vigilance opiniâtre sur le dossier de la LGV. Mercredi, il rendait public ses échanges avec l’ancien député PS girondin, Gilles Savary, sur le financement de la ligne à grande vitesse au sud de Bordeaux. Soit le Grand Projet du Sud-Ouest (GPSO), porté par SNCF Réseau et fortement soutenu par la région Nouvelle-Aquitaine. Où refait surface la crainte d’un montage public-privé douloureux pour le contribuable.
Le vice-président du Cade, Pierre Recarte, pose des chiffres contradictoires concernant le coût global. « SNCF Réseau a commandé une étude à l’école polytechnique de Lausanne, spécialisée dans ces questions. Elle a estimé le coût total des lignes Bordeaux-Dax et Bordeaux-Toulouse à 12 milliards d’euros, quand SNCF Réseau le chiffre à 9 milliards. » Les défenseurs de l’environement privilégient la fourchette haute.
Règle d’or
Et ils ironisent sur les pistes de financement successivement avancées, depuis 2013. En voici un échantillon : l’écotaxe aujourd’hui en jachère, le recours à la Caisse des dépôts, la Banque européenne d’investissement, les subventions européennes, le « cofinancement des collectivités locales autour de l’État », l’emprunt à long terme, une fiscalité spécifique, la taxation du tissu économique bénéficiaire de la LGV… Toutes ces options ne sont d’ailleurs pas abandonnées.
Une chose est à ce jour certaine, SNCF Réseau, quoi que principal promoteur du dessein, ne peut pas abonder l’investissement nécessaire. « Elle est soumise à la ‘‘règle d’or’’ qui l’en empêche », indique Pierre Recarte. Sans s’égarer dans des détails trop techniques, retenons que le législateur a prévu un garde-fou pour limiter l’investissement de SNCF Réseau, en fonction de son niveau d’endettement. Aujourd’hui, l’opérateur responsable des infrastructures ferroviaires en France accumule trop de dettes pour pouvoir investir dans GPSO.
C’est précisément Gilles Savary qui a porté auprès du précédent gouvernement la fameuse règle d’or. Dans son échange de mails avec le Cade, il nuance d’une formule : « Le décret d’application est très ouvert en réalité ! Du coup, la technostructure et les politiques s’ingénient à trouver des solutions de contournement… » Celui qui, depuis les dernières législatives, se qualifie de « chômeur politique » évoque « deux solutions à l’étude ».
La première consisterait en une « large reprise de la dette (de SNCF Réseau) par l’État ». La société repasserait alors en deçà de la côte d’alerte et pourrait investir dans GPSO.
« Supercherie »
Gilles Savary décrit aussi un autre biais « qui va consister probablement en une supercherie inspirée de (la ligne) Perpignan-Figueras ». C’est-à-dire « constituer une ‘‘société de projet publique-privée’’, dont un pool bancaire privé assure l’essentiel du risque financier avec les entreprises intéressées par le chantier ! » Dans le cas de la LGV catalane, les groupes du BTP ACS (espagnol) et Eiffage (français) avaient formé l’entreprise TP Ferro, concessionnaire de la ligne pour cinquante ans. L’exploitation n’a jamais excédé 15 % du trafic passagers projeté et 7 % du fret. Quand, en 2016, TP Ferro a fait faillite, les états français et espagnol ont été contraints de reprendre les 557 millions d’euros de dette. C’est ce que prévoyait la concession qui les liait à la société à la dérive.
Pour le Cade, Gilles Savary a tout dit. Le collectif promet ce funeste destin de la ligne Tours-Bordeaux. Pour son porte-parole, Victor Pachon, « la faillite est prévisible ». Et ce ne serait pas une question de fréquentation. En la matière, les chiffres en gare de Bordeaux sont bons. « Il faut être prudent. Paris-Strasbourg est la seule à dépasser les objectifs de passagers, mais elle n’est pas rentable ».
Sachant que l’essentiel des 7 milliards investis dans la Tours-Bordeaux est garanti par la Caisse des dépôts, donc des fonds publics, le collectif écologiste ne cache pas son inquiétude.
L’agglo ne paie pas
Lors du dernier conseil d’Agglomération, le président Jean-René Etchegaray a promis qu’un débat serait lancé prochainement sur la question du financement de la LGV en séance publique. En attendant, il a rappelé que la collectivité a été sommée de payer 14 millions d’euros à la SNCF par le tribunal administratif de Paris pour le tronçon Paris-Bordeaux. « Nous avons hérité de l’engagement de l’Agglomération bayonnaise », rappelle le lehendakari. L’Agglomération fait appel de cette décision. « L’appel n’est pas suspensif. Nous devons payer », regrette-t-il. La collectivité n’a pas d’autres choix que de provisionner cette somme dans le budget à venir. « Mais ce n’est qu’une inscription comptable. Car nous ne verserons pas cette somme à la SNCF », promet Jean-René Etchegaray.
« Nous avons fait des proposi tions à la ministre »
Le président de la Région Nouvelle-Aquitaine étudie les options pour financer la ligne à grande vitesse au sud de Bordeaux
« Sud Ouest » Envisagez-vous encore un montage public-privé pour financer GPSO ?
Alain Rousset Carole Delga (présidente de la région Occitanie, NDLR) et moi avons fait d’autres propositions à Elisabeth Borne, la ministre des Transports. D’une part, trouver des recettes publiques, fiscales, pour ne pas faire peser le budget sur les transports du quotidien. Il y a d’autres modèles. Par exemple, la taxe sur les bureaux développés autour de la LGV, comme l’a fait le Japon. Ce sont aussi d’autres leviers, comme la TICPE (ancienne taxe sur les produits pétroliers), le grand emprunt, la taxe carbone.
Vous avez récemment dîné avec la ministre : avez-vous évoqué la reprise par l’État de la dette de SNCF Réseau ?
Non. Mais l’Allemagne l’a fait. L’état français est celui en Europe qui investit le moins sur le ferroviaire. Il a tout laissé peser sur la SNCF. Il me semblerait normal qu’il reprenne une partie de ce poids.
Gilles Savary affirme que SNCF Réseau surestime la fréquentation des LGV pour attirer les banques…
Gilles Savary est un ami proche, mais nous ne sommes pas d’accord. Il reste sur le modèle Tours-Bordeaux…
Voulez-vous dire que le trafic y a été surévalué ?
Non. Je dis que son modèle de financement, qui demande à un concessionnaire de prendre le risque avec des taux bien plus élevés, n’est plus possible.
Le Cade milite pour l’aménagement des lignes existantes…
Quand vous avez sur une même ligne du fret, des TER, des TGV, il est difficile d’envisager le report modal. 9 000 camions par jour passent sur l’ancienne RN 10. Nous savons que c’est la zone de la région la plus polluée aux particules fines. Au-delà du problème financier, je ne vois pas quelles sont les raisons de dénoncer des lignes nouvelles.
L’enquête publique sur GPSO vous en fournit une série…
Les enquêtes publiques ne déplacent que les opposants aux projets. Quand vous regardez le résultat aux régionales, je n’ai pas été démenti.
L’activité développée autour des LGV ne relève-t-elle pas surtout de transferts d’entreprises au détriment de zones plus fragiles ?
À Bordeaux, Poitiers, Angoulême, on observe que des activités auparavant implantées à Paris sont venues. Comment contrebalancer et rééquilibrer la polarisation des affaires sur Paris, si l’on n’est pas à 2 ou 3 heures de Paris ?
Vous ne pensez donc pas qu’il existe un risque global de « métropolisation » au détriment des territoires « périphériques » ?
Dans ce cas, cela vaut pour l’autoroute, et l’élargissement des voies au Pays basque relève de cette question. Mais les métropoles n’ont pas attendu la LGV pour se renforcer. Bordeaux ne lui doit pas son attractivité. Par ailleurs, la Région se soucie des territoires. Par exemple, en travaillant sur le désenclavement de Limoges. Ou en préfinançant l’opération sur la ligne entre Saint-Jean-Pied-de-Port et Bayonne. C’est grâce à la Région que la ligne a été refaite après les dernières inondations. 95 % des crédits vont aux transports du quotidien.