La France a lancé, dès 2013, son plan très haut débit, mais le déploiement de la fibre optique reste encore concentré dans les grandes villes. Aux dépens de l’équilibre entre territoires.

« De plus en plus de gens nous appellent pour nous demander de certifier que la fibre optique va arriver à telle date chez eux pour mieux vendre leur logement  », rapporte Matthieu Rouveyre, vice-président du Département de la Gironde, en charge des accès numériques. L’anecdote, loin d’être un cas isolé, montre combien, aujourd’hui, l’accès au très haut débit (à partir de 30 mégabits par seconde) est devenu un critère majeur dans le choix d’installation aussi bien pour une entreprise qu’un particulier.

1. Pourquoi déployer la fibre optique

Car le réseau actuel en cuivre sature de plus en plus au regard de la fulgurante augmentation de nos besoins (+ 30 % de débit par an), liée à la multiplication des objets connectés à notre domicile (7 en moyenne par foyer), mais aussi à la croissance de la population en périphérie des grandes villes. Conséquence, les foyers les plus éloignés du nœud de raccordement d’abonnés peinent souvent le soir à avoir accès à la télévision par Internet, voire juste à surfer sur la Toile. 7,5 millions de Français sont privés d’un accès minimal à Internet (3 mégabits par seconde), en particulier dans des départements ruraux comme la Dordogne et la Creuse.

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Crédit photo : GUILLAUME BONNAUD/ »SO »

À l’inverse, avec la fibre optique, la qualité du signal est la même sur toute la commune et le débit peut monter jusqu’à 100 mégabits par seconde, contre 20 mégabits souvent avec le réseau cuivre classique.

2. Un déploiement à deux vitesses

Mais, pour l’heure, seuls 3,3 millions de foyers français sont abonnés à la fibre optique. Des « privilégiés », qui habitent dans les métropoles ou grandes agglomérations. Soit des zones très denses (Bordeaux, Poitiers…) et moyennement denses (agglomération d’Agen…), où les opérateurs privés ont accepté de financer à leurs frais le déploiement de ce nouveau réseau d’ici 2022 (et même fin 2020 en zones moyennement denses). En cas de retard, ils s’exposent à des sanctions financières de l’État. En revanche, dans le milieu rural ou périurbain, où installer la fibre optique est bien moins rentable, cela se fera aux frais des collectivités territoriales.

Le gouvernement a promis que 80 % de la population seront raccordés en fibre optique d’ici 2022

C’est ainsi qu’a été conçu le Plan très haut débit, adopté au printemps 2013. Avec l’ambition de couvrir l’ensemble du pays en 2022. Un objectif intenable a prévenu, il y a déjà un an, la Cour des comptes. Selon les auteurs du rapport, il faudra probablement attendre 2030 pour que tout le territoire français soit fibré. Avec un surcoût de 15 milliards d’euros par rapport aux calculs initiaux, qui fait grimper la facture globale à 35 milliards d’euros. Ce qui pourrait mettre fin aux forfaits Internet à 30 euros par mois et amener une prédominance d’Orange sur le marché, s’inquiète l’UFC-Que Choisir. Une chose est sûre, le milieu rural reste à la traîne. Aujourd’hui, sur les 10,3 millions de logements raccordables en fibre optique, il n’y en a que 1,2 million dans ces zones moins denses.

3. Des alternatives dans le monde rural

Conscient que c’est un enjeu d’attractivité économique mais aussi d’aménagement du territoire, le gouvernement a donc promis que 80 % de la population seront raccordés en fibre optique d’ici 2022 et que 100 % des Français auront accès à un « bon » débit (plus de 8 mégabits) dès 2020. Actuellement, 15 % des Français en sont privés. Pour éviter la fracture numérique, Édouard Philippe, le Premier ministre, a annoncé, le 14 décembre dernier, un guichet « cohésion numérique » doté de 100 millions d’euros.

Les foyers les plus isolés auront notamment droit à un chèque de 150 euros pour financer l’achat d’une parabole, d’une box 4G…, afin d’accéder au haut débit. Car la colère couve dans ces territoires, qui se sentent oubliés. Alors, pour faire patienter les habitants et entreprises avant l’arrivée de la fibre, des alternatives vont être mises en place : montée en débit du réseau ADSL, satellites, 4G fixe…

4. Notre région est en retard

Chez nous, en Nouvelle-Aquitaine, le déploiement de la fibre optique s’accélère pour combler le « léger retard par rapport à la moyenne nationale », souligne Cécile Dubarry, directrice générale de l’Autorité de régulation des communications électroniques et des postes (Arcep), sans dévoiler ses chiffres.

 

Mais créer un nouveau réseau se heurte à des problématiques techniques dans les zones pavillonnaires. Les terrains ont bougé au fil des années et les câbles de fibre optique ne peuvent pas toujours être passés dans les mêmes « tuyaux » que ceux du réseau cuivre. Or, si cela « coince » derrière votre mur, c’est à votre charge de réaliser une tranchée et de tirer un autre câble. C’est le discours souvent tenu par l’opérateur. Des travaux non négligeables s’il faut passer sous une dalle de béton… « Ces cas sont infimes », assure Cyril Luneau, directeur des relations avec les collectivités locales à Orange.

5. Des départements font front commun

L’inquiétude porte surtout sur les réseaux d’initiative publique. Comment attirer les opérateurs privés et éviter de payer bien plus cher la fibre qu’en métropole ? Pour y remédier, sept départements ruraux de la région (Charente, Dordogne, Landes, Creuse, Lot-et-Garonne, Haute-Vienne et Corrèze) ont lancé un appel d’offres commun pour 456 000 prises à raccorder entre 2018 et 2022. Un investissement public de 1,4 milliard d’euros. Mais la collectivité sera propriétaire de ces réseaux de fibre optique, qui seront rentables à long terme.

« Cet effet ‘‘masse’’ permet de faire jouer davantage la concurrence  », souligne Mathieu Hazouard, président de Nouvelle-Aquitaine très haut débit, société publique locale qui pilote le projet. « C’est indispensable, car les opérateurs privés ne couvriront au final que 38 % de la population de notre territoire », rappelle celui qui est aussi conseiller régional délégué au très haut débit.

Ce qu’il faut savoir avant l’installation

Comment obtenir la fibre ?

Si vous êtes locataire, vous devez envoyer une lettre recommandée à votre propriétaire pour qu’il demande au syndic d’inscrire votre demande à l’ordre du jour de l’assemblée générale. Si vous êtes copropriétaire, vous effectuez la même démarche auprès du syndic. Si vous dépendez d’un bailleur social, c’est le conseil d’administration qui doit donner son accord et signer la convention. Si vous êtes l’unique propriétaire, c’est à vous de faire les démarches (en ligne, notamment) auprès d’un des opérateurs, au moment où l’un d’entre eux raccorde votre quartier.

Que faire en cas de refus ?

Il existe un droit à la fibre, aussi bien pour un locataire que pour un copropriétaire. Le propriétaire d’un logement ne peut s’opposer au droit d’un locataire d’être raccordé selon le décret n° 2009–53 du 15 janvier 2009. Il est obligé de motiver son refus dans un délai de trois mois s’il s’agit d’un motif « légitime et sérieux » (installation déjà prévue ou déjà réalisée), et dans un délai de six mois pour d’autres motifs. Le locataire peut alors faire appel de ce refus auprès du tribunal compétent. Il est aussi possible de solliciter l’intervention du médiateur des télécoms.

Puis-je être raccordé à plusieurs opérateurs ?

Il s’agit de Multi-accès FttH, il n’est pas autorisé pour le moment, sauf pour les immeubles neufs dans le cadre d’une expérimentation.

Les travaux sont-ils gratuits ?

Pas toujours. La loi prévoit que le fibrage de l’immeuble est réalisé gratuitement pour le propriétaire ou les copropriétaires, ainsi que tous les occupants de l’immeuble. Les coûts d’installation sont à la charge de l’opérateur d’immeuble. En revanche, pour les maisons individuelles, si la fibre optique ne passe pas dans les mêmes tuyaux que le cuivre sur votre terrain, c’est à votre charge.

Quel délai avant de pouvoir ouvrir un contrat ?

Dans les immeubles, les réseaux sont mutualisés pour assurer le principe de libre concurrence. Un gel commercial de trois mois est imposé par l’Arcep (Autorité de régulation des communications électroniques et des postes) pour laisser le temps à n’importe quel opérateur de raccorder son réseau au sous-répartiteur déjà fibré. Passé ce délai, vous pourrez souscrire un abonnement fibre.

Suis-je obligé de souscrire chez l’opérateur qui a installé la fibre ?

Non. L’opérateur qui a installé la fibre ne dispose d’aucun monopole sur l’ouverture commerciale de celle-ci. Par contre, il est possible qu’aucun autre opérateur ne soit intéressé par un secteur ou que la concurrence tarde à se manifester. Par le passé, il y a eu des tensions entre Orange et ses concurrents sur le sujet. Ceux-ci se plaignaient de difficultés d’accès aux infrastructures de l’opérateur historique, et peinaient aussi à s’imposer commercialement dans les immeubles. L’Arcep a pris des mesures l’an dernier pour rééquilibrer la situation. Orange détient aujourd’hui 70 % de parts de marché sur la fibre optique, le groupe ayant aussi installé 70 % des infrastructures.