Ecotaxe : les routiers béarnais très remontés

Avr 10, 2018 | Economie, Presse française, Routier

Ecotaxe : les routiers béarnais très remontés
On se souvient des barrages dressés en 2013, ici au rond-point de l’autoroute à Lescar

. © Ascencion Torrent
PAR GÉRARD CAYRON, PUBLIÉ LE .

Le projet gouvernemental d’une contribution financière pour les camions est à nouveau d’actualité. Ce qui provoque la colère des transporteurs béarnais, surtout les plus petits.

Le véritable fiasco de l’écotaxe connu dans les années 2012-2013 n’échaude pas le gouvernement. Difficile, pourtant, d’oublier la pagaille née des barrages routiers, un mouvement symbolisé par les « Bonnets rouges » bretons et la coûteuse destruction de portiques.

Mais la ministre des Transports, Elisabeth Borne, n’en a pas moins l’intention de faire renaître une taxe pour les poids lourds. Après avoir reçu les intéressés, elle doit soumettre cette semaine au Parlement « un projet de contribution financière des transporteurs routiers » destinée à l’entretien des infrastructures. En Béarn, cette perspective provoque déjà une colère sourde. « Ça va faire du bruit ! » prévient par exemple Jérôme Cazaban, jeune gérant de la petite société Béarn Transports (25 salariés ; 2 millions d’euros de chiffre d’affaires) créée en 2012. « Et s’il le faut, on reviendra sur les barrages, comme en 2012-2013. On a su se battre à l’époque, nous sommes prêts à la refaire. »

« Financer notre extinction ! »

Le trentenaire est à l’unisson des différentes organisations professionnelles qui commencent à se mobiliser. Ainsi, la FNTR, premier syndicat du secteur, mais aussi l’Unostra, plutôt tournée vers les PME, expriment dans un communiqué commun leur « exaspération face à une rengaine ». « L’argent ne manque pas mais il est détourné, estiment-ils. Alors que si les recettes engendrées par les usagers étaient mieux fléchées, il ne serait pas nécessaire de créer des recettes supplémentaires. »

« C’est tout à fait ça », reprend Jérôme Cazaban depuis son village d’Hours où il s’est spécialisé dans la livraison de produits en vrac pour l’industrie et l’agroalimentaire. « Aujourd’hui, il faudrait financer de nouveaux modes de transport. Mais cela revient à nous demander de participer à notre propre extinction ! Imaginez qu’il soit proposé à Air France de financer la LGV… »

Dans ce secteur hyperconcurrentiel (voir ci-contre), la pilule passe d’autant moins bien que les marges se sont réduites comme peau de chagrin. « Moi, sur une course de Pau à Paris qui nécessite plus d’une journée, je gagne 10 euros. Soit moins de 1 % de marge nette. On fait comment ? » se demande le dirigeant de Béarn Transports.

Eux aussi responsables de PME, les autres acteurs béarnais du transport routier que nous avons interrogés ne disent pas autre chose. Signe des temps (difficiles), deux d’entre eux ont même souhaité garder l’anonymat car… ils veulent céder leurs entreprises. « On ne dort plus. Avec toutes ces taxes, c’est devenu trop compliqué ! » déplore l’un d’entre eux.

Taxer les donneurs d’ordres ?

Aline Mesplès, installée depuis plus de 50 ans à Salles-Mongiscard, près d’Orthez, a, elle, encore envie de se battre. Et, comme d’autres, demande avant tout que les importantes mannes financières apportées par les usagers soient mieux utilisées. « Par rapport à nos voisins, notre pays a la particularité d’avoir un réseau autoroutier déjà entièrement payant, rappelle-t-elle. Partant de là, on peut se demander à quoi sont affectées ces recettes. Il n’est pas normal que tout cet argent [près de 40 milliards d’euros par an, Ndlr] serve à autre chose que l’entretien des infrastructures qui, c’est vrai, en ont besoin. »

La Béarnaise propose également des alternatives à la renaissance d’une écotaxe pure et dure que les poids lourds seraient seuls à financer. « Les autres usagers de la route ne pourraient-ils pas eux aussi mettre la main à la poche ? Je pense par exemple aux entreprises de transport en commun, à ceux qui pratiquent le covoiturage, mais aussi à tous les donneurs d’ordres. Ils font le choix de mettre leurs productions dans nos camions, alors pourquoi ne pas les taxer ? »

On ne sait pas si la question s’est invitée, ce lundi à Paris, lors de la réunion des acteurs de la filière reçus au ministère des Transports. En tout cas, personne n’est ressorti coiffé d’un bonnet rouge. Pour l’instant.

La filière se réorganise au détriment des plus « petits »

Ce secteur est déjà aux prises avec plusieurs difficultés, dont le cabotage. Voici pourquoi.

Le Béarn n’échappe pas aux opérations de concentration en cours dans le secteur du transport routier. Phénomène qui se traduit par la disparition progressive des acteurs les plus modestes dans un marché hyperconcurrentiel.

« On perd des adhérents ! » confirme l’Orthézienne Aline Mesplès, dirigeante nationale de l’Organisation des transporteurs routiers européens (OTRE). Sur une centaine de membres dans les Pyrénées-Atlantiques, elle estime « à environ 10 % » le niveau des pertes, consécutives la plupart du temps à « des arrêts d’activité ». « Souvent, les jeunes n’osent pas se lancer dans le métier ou, un peu comme on le voit en agriculture, décident de ne même pas reprendre l’affaire familiale. » Résultat : des groupes, de taille plus significative, récupèrent les parts de marchés locaux. Et, en Pyrénées-Atlantiques, le voisinage avec la frontière espagnole n’arrange rien, « comme dans tout département transfrontalier », soupire Aline Mesplès.

40 fois plus « cabotée » !

Cette concurrence, parfois sauvage, se traduit notamment à travers une pratique intensive du cabotage, un phénomène quasi impossible à contrôler. « Selon nos statistiques nationales, la France est aujourd’hui 40 fois plus “cabotée” que nos voisins européens les plus proches ! » révèle la dirigeante.

Le cabotage est le fait d’une société étrangère – espagnole par exemple – qui vient opérer sur le sol français tout en étant encore régie par les conditions sociales et fiscales du pays d’origine. Les règles d’une saine concurrence sont alors bafouées, d’autant que bon nombre de transporteurs espagnols emploient des chauffeurs d’Europe de l’Est, moins bien rémunérés. Du coup, ces derniers poussent leurs homologues ibériques à venir offrir leurs services de ce côté de la frontière…

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