Comment la Région se bat à Bruxelles pour la ligne Pau-Canfranc

Oct 16, 2018 | Ferroviaire, Presse française

Comment la Région se bat à Bruxelles pour la ligne Pau-Canfranc

La voie entre Bedous et Canfranc (ici au niveau de l’ancienne gare de Cette-Eygun-Lescun) veut prouver son intérêt transfrontalier.

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  • Comment la Région se bat à Bruxelles pour la ligne Pau-Canfranc
    En séance plénière le 10 octobre, le Comité européen des régions a évoqué les projets d’infrastructures.

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    Isabelle Boudineau, vice-président de la Région, et membre du Comité des régions à Bruxelles.

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Par Pierre-Olivier Julien, envoyé spécial, publié le , modifié .

L’Europe aide déjà au financement des études pour la rénovation entre Bedous et Canfranc. La Nouvelle-Aquitaine fait tout aujourd’hui pour que l’UE subventionne aussi les futurs travaux.

Attention, dossier prioritaire. Si le projet de redonner vie à la ligne ferroviaire Pau-Canfranc ne fait toujours pas l’unanimité à Bordeaux ou en Béarn (notre édition du 11 octobre), il est aujourd’hui considéré comme « emblématique » à Bruxelles. « Car l’Europe veut montrer qu’elle ne s’intéresse pas seulement aux grands axes comme Lyon-Turin, mais aussi aux projets locaux destinés à connecter les territoires » explique d’emblée Marie-Pierre Mesplède, directrice du bureau de la représentation de la Nouvelle-Aquitaine dans la capitale belge.

Mais pour que les fonctionnaires de l’UE parviennent, et acceptent, de placer la Pau-Canfranc sur une carte, ce fut un long combat. Qui n’est pas terminé. « Il y a 20 ans, les gens nous riaient au nez. On nous répondait de plutôt classer cette voie au patrimoine mondial de l’Unesco. Aujourd’hui, l’Europe finance la moitié des études pour le prolongement entre Bedous et Canfranc, c’est une vraie victoire. Notre plus belle sans doute » soulignent les salariés de la Région à Bruxelles. Des prospections sont en effet en cours en vallée d’Aspe, pour un coût global de 14,7 millions d’euros.

Etudes jusqu’en décembre 2020

Mais après, à quand les travaux ? « On ne peut les lancer sans toute cette batterie d’études environnementales, techniques, d’avant-projet. Et accessoirement penser à la mise en place d’une gouvernance franco-espagnole pour gérer le projet une fois que la ligne sera ouverte. C’est ce qui se fait actuellement et cela va durer jusqu’en décembre 2020 » nous confie Marion Chauveau, chargée de mission au bureau aquitain de Bruxelles.

Mais ceci n’est bien qu’une étape. À la Région, on semble conscient que rien n’est encore tout à fait acquis. « Il faudra une forte volonté politique des deux côtés des Pyrénées pour que cela aboutisse. Pour l’instant, elle est là » relève Marie-Pierre Mesplède. On sait que le président Alain Rousset souhaiterait que le chantier commence tant qu’il est encore aux commandes. De crainte de voir celui ou celle qui lui succédera un jour abandonner l’idée.

Car le nerf de la guerre, ici, reste l’argent. Les travaux sont estimés autour de 350 à 400 millions d’euros pour rénover la portion de voie entre Bedous et Canfranc. Et là encore, la Région espère un sérieux coup de pouce de l’Europe. À Bruxelles, on y travaille ardemment. « Dans les nouvelles propositions de la Commission européenne, la ligne Pau-Canfranc-Saragosse passe dans la liste des liaisons transfrontalières prioritaires. Notre boulot est maintenant de savoir quand sortira l’appel à projets pour la période 2021-2027, comment il sera formulé, et de tout préparer pour y répondre au mieux, en disant tout ce que l’Europe a envie d’entendre » remarque Marion Chauveau.

Anticiper l’appel à projets

Cet appel se fera dans le cadre du fameux MIE, le mécanisme d’interconnexion européen, sur lequel s’est penché le 10 octobre le Comité européen des régions, et en particulier l’élue du Sud-Ouest Isabelle Boudineau, rapporteur, qui a encouragé à une simplification de ce système (lire ci-contre). « Il y a environ 8 à 10 milliards d’euros de MIE pour toute l’Europe. MIE qui est en fait un règlement, qui fléchera les investissements vers les priorités, selon divers critères. Cela voté, l’agence exécutive « Innovation et réseaux » (INEA), traitera la mise en œuvre de ce fonds. Et c’est elle qui fera l’appel à projets, qui verra le dossier de la Pau-Canfranc et qui le notera. Évidemment, on connaît aussi des gens dans cette agence » glisse-t-on au bureau bruxellois de la Nouvelle-Aquitaine.

Une fois de plus, le lobbying sera indispensable. « Pour convaincre, on parle de l’intérêt pour le fret, mais aussi le transport de touristes. On rappelle que c’est une ligne existante, qui relie deux territoires, que c’est un projet structurant en France et en Espagne, que cela va limiter les émissions de CO2… Quand un accident dramatique, malheureusement, intervient comme récemment sur la RN134, on le fait savoir à Bruxelles. Car le but est aussi de sortir les camions de cet axe ».

La Nouvelle-Aquitaine entend parler avec l’Aragon d’une même voix. Leur chance : que le transfrontalier « a toujours été et sera toujours une priorité européenne. La Commission essaie avec ses moyens de faire des choses concrètes qui construisent l’Europe ». Notre région compte aussi sur un bon alignement des planètes, avec des élus du Parlement très concernés par ce type de petites lignes, à l’instar de l’Allemand Michael Cramer qui « en a fait un combat personnel ».

Convaincre aussi l’Etat français

Las, « il faudra peut-être tout recommencer après les élections de mai prochain » craignent les représentants aquitains qui doivent aussi faire face aux réticences de l’état français. « Mais si c’est demandé par Bruxelles, par le Parlement, par le comité des régions… au bout d’un moment, la France ne pourra plus dire non ». Le chantier, lui, pourrait alors démarrer après 2021, pour une durée de trois ans. Quant au pourcentage d’aide de l’Europe, la Nouvelle-Aquitaine espère qu’il frisera, ici aussi, les 50 %.

Combler le « vide » dans le Sud-Ouest

Les 350 élus du Comité européen des régions, réunis à Bruxelles, ont abordé le 10 octobre le thème des infrastructures par le biais du MIE, le mécanisme d’interconnexion européen. La vice-présidente de Nouvelle-Aquitaine, Isabelle Boudineau, était chargée de ce rapport. Par sa voix, régions et villes (qui ont ici un avis consultatif avant le vote du Parlement le 22 novembre) ont proposé de simplifier et d’améliorer les procédures de la validation de projets.

Notamment en instaurant un système de pré-validation qui évitera aux autorités régionales de perdre temps et ressources dans le montage de dossiers qui n’auraient aucune chance d’être éligibles à des aides. L’idée ici est bien « de renforcer la place des collectivités dans la mise en œuvre du MIE » nous confie Isabelle Boudineau.

Cette dernière a insisté sur l’impérieuse nécessité de « favoriser le report modal vers les voies ferrées, fluviales et maritimes ». Et de pointer le « vide » actuel que connaît le Sud-Ouest en termes de dessertes vers l’Espagne. « Pour certains, la péninsule ibérique apparaît comme marginale. Mais c’est fondamental de remettre ces questions transfrontalières au cœur des débats ». Et de saluer le front commun entre Nouvelle-Aquitaine, Occitanie, Pays basque ou encore Navarre sur ce sujet.

« La France pas assez impliquée »

« Il manque une vraie colonne vertébrale. Ce n’est plus acceptable d’avoir sur nos routes des milliers de camions qui rejoignent les pays du Nord ». Certes, Isabelle Boudineau sait le coût de ces infrastructures, « d’où le besoin de l’effet levier européen ». Cette dernière s’est d’ailleurs aussi attaquée à la carte des grands « corridors », pour un rééquilibrage. En poussant notamment pour la ligne LGV Bordeaux-Toulouse.

« Il faudra se battre au niveau européen, mais aussi en France. Le gouvernement n’a pas été jusqu’ici très fort dans son lobbying sur ces sujets ». Selon elle, il faudra aussi que «le budget de l’UE, trop dépendant des Etats membres, puisse disposer de ressources propres. C’est l’autre combat à mener ».

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