Bordeaux : faut-il construire une super-rocade ?
par Denis Lherm ; journal Sud Ouest
© Photo Fabien Cottereau
Le projet de grand contournement a été abandonné depuis 2009 après de longs et tumultueux débats. Des élus locaux, parmi lesquels Alain Juppé, remettent le sujet sur le tapis. Vrai projet ou débat stérile ?
Plus de 13 km de bouchons ce lundi matin sur l’autoroute A10 entre Saint-André-de-Cubzac et Bordeaux. Des milliers de voitures pare-choc contre pare-choc, au ralenti, jusque vers le milieu de la matinée. Des conducteurs coincés dans leurs voitures pendant des heures, scène quasiment quotidienne. Près de 10 ans après les polémiques sur le projet de grand contournement de l’agglomération, qui avait enflammé la chronique en 2006, la situation sur la route est pire que jamais. Les bouchons sont encore là et le grand Bordeaux fait toujours figure de maillon faible du réseau routier sur l’axe nord-sud européen.
Se résigner sans rien tenter ?
Inévitablement, la question revient sur le tapis : faut-il faire cette fameuse super rocade pour dévier le trafic routier de passage et redonner un peu de marge aux déplacements locaux ? Ou se résigner à la saturation de la rocade actuelle, sans rien proposer pour améliorer la situation ? Ce débat agite le département au moins depuis la fin des années 80, lorsque le président du Conseil général d’alors, le socialiste Philippe Madrelle, avait plaidé pour la réalisation d’un grand contournement autoroutier doublant la rocade. Plusieurs fois enterré, le sujet finit toujours par ressortir. Le dernier à l’avoir tiré des oubliettes est Alain Juppé, lors de sa rentrée devant la presse, début septembre. Le maire de Bordeaux, qui s’était pourtant prononcé pour l’abandon du grand contournement en octobre 2007, y est redevenu favorable. Il a ressorti les idées de son «plan opérationnel mobilités», en fait son programme de campagne de 2014 lorsqu’il briguait la président de la Communauté urbaine (devenue Bordeaux Métropole). Soit la réalisation de barreaux reliant les quatre autoroutes qui se raccordent à la rocade en provenance de Paris (A10), Lyon (A89), Toulouse (A62) et l’Espagne (A63). Une sorte de grand contournement passant à l’est de l’agglomération, alors que le projet en vigueur il y a dix ans passait par l’ouest. Si Alain Juppé opte pour cette solution, c’est parce qu’il imagine utiliser les voies existantes. Il existe en effet des barreaux routiers reliant l’A10 à l’A89, puis l’A89 à l’A62, etc. Mais ce sont des routes départementales incapables en l’état actuel de supporter un trafic de type autoroutier. Il faudrait donc les recalibrer. Comment ? Avec quel budget ? Selon quel calendrier ? Alain Juppé ne le dit pas. Mais il estime que la question doit à nouveau être posée.
Contournement ou déclin ?
Devenu simple sénateur après avoir tenu le Conseil général de la Gironde pendant 36 ans, Philippe Madrelle va, lui beaucoup plus loin. De son point de vue, le grand contournement autoroutier de Bordeaux est une priorité absolue. Faute de quoi, pense-t-il, l’agglomération est condamnée au déclin. Rien de moins. «Je vais sans doute faire une intervention au Sénat, sous peu, car c’est devenu infernal. Je vais à Paris une fois par semaine, il me faut parfois deux heures pour aller à l’aéroport depuis Carbon-Blanc ! Il y a une urgence car nous sommes bloqués. »
» Maintenant, j’ai du recul, je ne cherche plus rien, ce sujet nous interpelle tous car cela va devenir un facteur de déclin de l’agglomération. Si nous ne faisons rien, on va dans le mur. »
Philippe Madrelle poursuit : « Que ceux qui étaient contre il y a dix ans regardent objectivement ce qu’est devenu la rocade, c’est impossible de continuer comme cela». En revanche, là où Alain Juppé imagine la rocade par l’est, Philippe Madrelle la voit à l’ouest, avec un nouveau pont au nord de Bordeaux. Un schéma proche de celui qui avait mis le feu aux poudres il y a dix ans. Philippe Madrelle pense par ailleurs que, « financièrement, c’est faisable. J’étais prêt à engager le Département, la Région viendra sûrement aussi. Si on va vraiment au fond des choses, on avance. Regardez la LGV, cela a été dur mais on y est arrivé». À ce jour, depuis l’abandon du projet en octobre 2008, victime du virage écolo du Grenelle de l’environnement, le grand contournement reste un sujet que les élus ressortent périodiquement. Comme pour jouer une complicité avec les automobilistes coincés dans les bouchons, mais sachant pertinemment que ces équipements chers et fort peu écologiques n’ont plus la cote. De fait, le gouvernement vient d’annoncer un plan autoroutes doté de plus d’un milliard d’euros. 150 projets sont concernés à travers la France, mais il n’y a pas une ligne sur un éventuel grand contournement de Bordeaux.