Après le drame en Vallée d’Aspe, une course contre la pollution

Août 29, 2018 | Presse française, Routier

Après le drame en Vallée d'Aspe, une course contre la pollution

Toute la journée d’hier, les pompiers ont pompé le chlorite de sodium contenu dans les cuves du poids lourd. Une partie du chargement s’est répandue dans le gave.

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  • Après le drame en Vallée d'Aspe, une course contre la pollution
    La grue spectaculaire prévue pour le relevage du camion devait intervenir cette nuit.

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Par Gildas Boënnec, publié le , modifié .

Le conducteur du camion qui s’est renversé lundi sur la R134 à Etsaut est décédé. L’accident a de sévères répercussions sur les populations de poissons du gave.

Le conducteur espagnol dont le camion a plongé ce lundi au fond d’un ravin sur la route passant devant le fort du Portalet n’a pas survécu à ses blessures. L’homme originaire de Jaca se rendait en Allemagne avec sa cargaison : son poids lourd a quitté la route alors qu’il empruntait un des nombreux lacets de la R134 entre Urdos et Etsaut, pour s’échouer une vingtaine de mètres plus bas. Restés sur place pendant une partie de la nuit, les secours n’ont pu que constater le décès du chauffeur.

Limiter les risques de pollution

Une fois cette funeste nouvelle digérée, la priorité pour les secours était dès lors de « limiter au maximum les risques de pollution au sein du gave de Belonce ». Le poids lourd transportait en effet 24 000 litres de chlorite de sodium, un produit particulièrement dangereux pour les milieux aquatiques. Or, ce mardi matin, les secours ont constaté qu’il ne restait que 12 000 litres dans la cuve. « On sait qu’il y a eu du liquide déversé au moment de l’accident. La pollution semble réelle, puisqu’on parle de décès de poissons, mais on ne connaît pas la quantité de produit injecté dans le gave », expliquait sur place Christian Vedelago, le directeur de cabinet du préfet, qui ajoute que le chlorite de sodium « n’est pas le produit le plus toxique qu’on ait jamais vu, même si on sait qu’il est nocif ».

Le pompage plus long que prévu

La priorité a été donnée à l’évacuation du produit dangereux car les secours craignent qu’il ne se renverse davantage si l’on relève d’abord la cabine du semi-remorque, qui est encastrée dans la citerne. « Malheureusement, on ne prendra donc en charge le corps qu’une fois que le chlorite de sodium sera récolté », explique Christian Vedelago.

L’opération consistant à retirer le chlorite de la citerne a duré plus de temps que prévu. La première cuve de 1 000 litres a mis une heure à être remplie car une des pompes fonctionnait mal. Après le changement de celle-ci, les secours ont totalement vidé la citerne : le pompage du liquide a été achevé aux alentours de 18h30. Les pompiers avaient à cœur de terminer l’opération dès ce mardi, en tentant de procéder au relevage du véhicule au cours de la soirée : une intervention qui était toutefois susceptible d’être reportée au lendemain à cause du mauvais temps.

Des centaines de poissons morts

Même la préfecture en convient : le chlorite de sodium présent dans la cuve a bel et bien pollué le gave de Belonce. « Ce produit, ce n’est pas un enfant de chœur », prévenait lundi le président de la Gaule Aspoise, Jean-Claude Bourdelas. Les constatations faites mardi matin par les spécialistes de l’environnement viennent confirmer ses dires : ce sont des centaines de poissons morts qui ont été recensés près du lieu de l’accident et sur quelques kilomètres en aval du cours d’eau. Des agents de la Fédération départementale de pêche présents sur place en compagnie de membres de l’Agence francaise pour la biodiversité ont constaté une « mortalité partielle voire totale sur un tronçon allant du fort du Portalet au pont d’Etsaut, soit à peu près trois kilomètres ». C’est quasiment exclusivement des cadavres de truites farios qui ont été aperçus. Les insectes aussi ont très certainement souffert de ce produit, sans parler des animaux qui viennent s’abreuver à cette source. La zone est d’ailleurs classée au sein du réseau Natura 2000.

« La question, c’est celle de la capacité de dilution du gave d’Aspe, sachant qu’on est sur une période d’étiage, avec très peu d’eau et des retenues », estime Guillaume Barranco, le directeur de la Fédération de pêche du 64. « Des lâchers d’eau pourraient permettre d’accélérer cette dilution, mais on ne sait pas si le préfet va en autoriser. Les fortes pluies annoncées peuvent également avoir un impact. » Jusqu’où ce produit va-t-il se retrouver ? « Pour l’instant, nous n’avons pas la réponse. Le chlorite de sodium est très lent, et il est donc difficile de savoir son impact dans l’immédiat, ce qui est d’autant plus inquiétant pour nos populations de poissons. »

Le vieux débat de la route relancé

Elus et habitants de la vallée d’Aspe déplorent le passage incessant des camions.

Le tragique événement de lundi réveille la grogne des habitants de la vallée et de leurs maires. Si tous déplorent le décès du chauffeur, chacun trouve à redire sur la situation actuelle de l’axe européen A7, sur lequel débouche le tunnel du Somport.

À Borce, le maire par intérim qui fait face à « une population excédée » a prévu une réunion publique samedi, pour décider de la prise d’un arrêté municipal qui interdirait la circulation de poids lourds dans le village. Si la mesure en elle-même est vouée à l’échec – un maire ne pouvant prendre un arrêté municipal concernant une route nationale -, Didier Bayens souhaite ainsi alerter l’Etat. « On ne veut pas être une population sacrifiée », dit-il, car pour lui, outre la dangerosité de la route et les adaptations manquantes, ce sont les matières que l’on y fait circuler qui posent problème. À tel point que l’élu envisage même de porter plainte contre l’Etat, qui accepte de laisser circuler des matières hautement dangereuses dans le bourg. Même son de cloche chez Elisabeth Médard, la maire d’Etsaut : « Les camions et le transport de matières dangereuses sont toujours autorisés, et c’est proprement scandaleux. »

Pour Hervé Lucbéreilh, maire d’Oloron, « il faut que les pouvoirs publics s’interrogent sur la modernisation de la route ou l’interdiction du trafic ». Pour lui, la route en cause est aujourd’hui « un chemin de noisetiers », alors que « l’Espagne, de son côté, a réalisé des aménagements remarquables ». La solution réside selon lui dans la mise en place d’un partenariat privé-public, « pour réaliser les aménagements nécessaires dans des délais raisonnables, peu importe le coût ».

Des « risques permanents »

Du côté de l’Association pour la réalisation de la déviation d’Asasp, on déplore un tel accident. Pour son président Jacques Levêque, il faut « enlever les risques permanents dans les villages ». Et cela ne peut se faire qu’avec la livraison de la « déviation, programmée en parallèle de la percée du tunnel (2003) ». L’idée de faire circuler les marchandises, non plus par camions, mais en train relève selon lui de l’utopie : « Même si cela se fait, le peu de fret qui passera sur les rails restera dangereux pour les riverains de la voie ferrée. »

Un avis que ne partage évidemment pas le Comité pour la réouverture de la Pau-Canfranc : « Le train, en Béarn et en Aragon, apparaît plus que jamais comme un moyen de transport sûr, économique et le plus à même d’assurer la transition énergétique », a rappelé l’association ce mardi.

Les opérations terminées ce mercredi

Les interventions des pompiers et techniciens se sont achevées ce mercredi matin vers 5h30. La route restait cependant fermée à la circulation en ce début de matinée.

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