Après l’affront de la SNCF, la Renfe décide d’exploiter les TGV espagnols en France

Avr 19, 2022 | Ferroviaire, Presse espagnole, Relations transfrontalières

EL PAIS

RAMÓN MUÑOZ

Madrid – 19 Avril 2022

 

Renfe est prête à relever le défi de la SNCF en France, après la rupture unilatérale par la compagnie française de leur accord pour l’exploitation conjointe des lignes à grande vitesse Barcelone-Lyon-Paris et Madrid-Marseille. L’entreprise publique espagnole a sollicité les permis nécessaires pour amener ses trains TGV jusqu’à Marseille après l’échéance de l’accord le 12 décembre prochain et pour exploiter seule la ligne. Mais la réponse de l’opérateur ferroviaire espagnol va bien au-delà, puisqu’il va réactiver ses plans pour pénétrer le marché français en exploitant la ligne Lyon-Paris, la ligne Paris-Londres par Eurotunnel et se présentera aux concours des lignes régionales à mesure de leur sortie.

Pour lancer cette réponse radicale au manque de loyauté de la compagnie nationale française, le comité de direction de l’entreprise espagnole a chargé Francisco Arteaga, directeur commercial Grande Vitesse, de faire le nécessaire pour assurer la continuité de l’accès au marché français sur Marseille, Lyon et Paris.

Les premiers pas de cette stratégie sont déjà engagés. Le groupe ferroviaire espagnol a sollicité les permis (connus dans l’argot ferroviaire comme sillons) pour opérer seul la ligne Barcelone-Lyon-Marseille avec les AVE de la série 100, fabriqués, paradoxalement, par la compagnie française Alstom, qui sont en service tant en Espagne qu’en France. Il a également demandé que les machinistes espagnols soient autorisés à circuler sur ces lignes, car actuellement le machiniste espagnol est remplacé par un français au passage de la frontière.

Rupture surprise

La SNCF a communiqué par surprise en février dernier sa décision unilatérale de ne pas renouveler l’accord échu à la fin de l’année, qui assure depuis 2013 l’exploitation conjointe des lignes à grande vitesse Barcelone-Lyon-Paris et Madrid-Marseille, sous prétexte des pertes cumulées de la société conjointe Renfe-SNCF en Coopération à 50-50%, qui commercialise ses produits sous la marque Elipsos Internacional.

Depuis lors, la compagnie que préside Isaías Táboas a tenté sans succès de négocier un nouvel accord, que la partie française a rejeté. Et pour cause, la SNCF tire parti de la dissymétrie des normes entre les deux Etats, car alors que l’Espagne a ouvert ses couloirs grande vitesse à tout opérateur national ou étranger, les autorités françaises continuent de faire barrage afin qu’aucun opérateur ne vienne en concurrence avec la compagnie nationale. La SNCF opère en Espagne depuis mai 2021 à travers Ouigo, sa marque low cost, sur Madrid-Barcelone, et se prépare à étendre ses services sur Madrid-Séville et Madrid-Levant.

La ligne Lyon-Paris et Eurotunnel

Mais la stratégie de Renfe en grande vitesse dans le pays voisin est beaucoup plus ambitieuse à moyen terme. Son objectif à terme est d’aller de Madrid et Barcelone à Paris, que ce soit sous sa marque conventionnelle AVE ou sous sa marque low cost Avlo. Là aussi elle se heurte à un mur réglementaire quasi surréaliste, puisque les français argumentent que les trains Alstom de Renfe, qui circulent parfaitement de la frontière jusqu’à Lyon, provoqueraient “des problèmes d’ondes électromagnétiques” entre Lyon et Paris, selon les autorités françaises, de sorte que les wagons espagnols devraient être décrochés à Lyon et que seuls les TGV de la SNCF poursuivent jusqu’à la capitale.

Pour résoudre ce problème, Renfe tente de faire homologuer les nouveaux trains Talgo du modèle Avril (série 106) pour couvrir tout le trajet jusqu’à Paris, mais dans ce cas le régulateur exige que les trains soient équipés du système de signalisation français TVM, outre l’européen ETCS. Toutes ces difficultés font que, dans le cas le plus favorable, Renfe ne pourra pas commencer à exploiter la ligne Lyon-Paris avant 2024.

Un autre des coups que prépare Renfe contre son concurrent français est d’exploiter la ligne à grande vitesse Paris-Londres par l’Eurotunnel (actuellement  appelé Getlink), pour pouvoir entrer en compétition avec Eurostar, la filiale de la SNCF qui exploite seule aujourd’hui le tunnel. Jacques Gounon, président de Getlink, propriétaire de l’infrastructure, a indiqué que Renfe ou tout autre nouvel opérateur pourrait se présenter pour obtenir les autorisations nécessaires sur cinq ans, avant d’acheter le matériel roulant.

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Neuf millions de voyageurs (données de 2019) utilisent analement la ligne Paris-Londres, dont  sept millions par les trains Eurostar, qui relient les deux capitales en 2 heures 12.

Dans le domaine des trains régionaux, Renfe est plongée dans les concours convoqués par les régions françaises du Grand Est et des Hauts de France, et étudie d’autres projets près de la frontière entre la France et l’Allemagne.

Le dernier plan stratégique de Renfe 2019-2023 porte principalement sur l’international. Après le succès de l’exploitation de « l’AVE du désert », qui relie depuis 2018 les villes saoudiennes de La Mecque et Médine, un contrat a été signé en 2021 avec le consortium privé Texas Central pour exploiter la ligne entre Dallas et Houston, le premier projet à grande vitesse aux Etats Unis. Et en décembre dernier, l’opérateur espagnol a racheté 50% de la compagnie tchèque Leo Express.

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