Face à la rédaction de « Sud Ouest », le président PS de la Nouvelle-Aquitaine a justifié ses combats en faveur de la décentralisation et de la grande vitesse. Et exprimé ses doutes à l’égard du président de la République.
« Sud Ouest » Le 28 septembre, les présidents de Région ont claqué la porte du Congrès des Régions de France après le discours d’Édouard Philippe…
Alain Rousset Le Premier ministre n’a pas compris quelle était la démarche des Régions. Il a tenu un discours comptable et hors-sol. Dans le cadre de la nouvelle organisation territoriale issue de la loi NOTRe, les compétences de développement économique des Départements ont été transférées aux Régions. Le gouvernement Valls avait compensé à 60 % ce transfert en garantissant une dotation de 450 millions d’euros. Et l’actuel Premier ministre est venu confirmer l’annulation de cette enveloppe.
Si nous la réclamons, tous présidents confondus et quelle que soit notre couleur politique, c’est parce que nous défendons nos PME, les emplois et nos territoires.
Pourquoi la France ne se réindustrialise-t-elle pas ? Pourquoi ne se robotise-t-elle pas ? Pourquoi ne se numérise-t-elle pas plus vite ? En Allemagne, une PME est aidée deux à quatre fois plus qu’en France parce que, chez nous, Bercy préfère jouer sur les grands groupes.
Avez-vous des doutes sur la volonté d’Emmanuel Macron de décentraliser le pays ?
J’ai des doutes, oui. Et je lui en parlerai à Egletons (ndlr, hier). Emmanuel Macron est jeune, ce qui est un atout pour la France, mais il n’a pas l’expérience des réalisations concrètes d’un élu local. La confiance a été rompue à Orléans. Elle doit être renouée et c’est à lui de s’en mêler.
Il doit comprendre que, pour redresser le pays, il faut développer une classe moyenne d’entreprises dans nos territoires, comme il existe une classe moyenne de citoyens. Je lui en avais parlé quand il était ministre et je ne l’avais pas convaincu.
La France est le dernier pays à être verrouillé par le haut. Tous les pays fédéraux ou décentralisés réussissent parce que les élus locaux sont plus à l’écoute des acteurs du territoire sur les problèmes d’emploi, d’éducation, de formation ou d’agriculture.
On nous parle de déconcentration mais ce n’est pas suffisant. Cela n’a rien à voir avec la décentralisation. Et je fais passer le message aux parlementaires de la Région : si vous recentralisez, vous échouerez.
La décentralisation est-elle le seul signal d’alarme que vous tirez ?
Non, avant qu’Emmanuel Macron soit élu, je lui avais aussi parlé de l’urgence de la question sociale. La loi Travail et le débat qui l’a accompagnée tapent à côté.
Le problème d’un chef d’entreprise aujourd’hui, ce n’est pas de licencier, c’est de recruter. Tous les chefs d’entreprise que je rencontre me tiennent le même discours. Il y a un débat de fond et de société qui n’a pas été engagé.
Et puis, je crois vraiment qu’il faut remettre au premier plan la question de l’ascenseur social. Il y a un taux de décrochage important à l’école, à l’université, dans l’apprentissage. À la Région, nous avons mis en place des politiques pour lutter contre ce décrochage.
Il y a enfin un discours démagogique latent qui n’est pas bon sur les chômeurs, qui seraient assistés ; sur les fonctionnaires, qui ne travailleraient pas. Et je pense que l’utilisation du mot « fainéant » par le président de la République était une erreur.
La suppression de l’ISF est-elle une bonne mesure ?
Sortir les signes extérieurs de richesse de l’impôt, c’est une bavure assez grave sur laquelle je pense que le gouvernement va revenir. Je ne suis pas favorable à la disparition de l’ISF.
Selon moi, il faudrait supprimer un grand nombre de niches fiscales qui ne profitent qu’aux plus riches et trouver le moyen de flécher l’épargne vers l’entreprise. Ce serait un bon moyen d’éviter les fonds vautours internationaux.
Vous allez sans doute aussi parler à Emmanuel Macron de la LGV vers Toulouse et l’Espagne ?
Bien sûr. Je crois plus que jamais à ce projet. Cela fait des années que je défends ce dossier et je remonte au filet à chaque changement de ministre. Ces grands dossiers, si vous ne les défendez pas bec et ongles, ils n’existent pas.
Vous avez vu le succès de la LGV vers Paris cet été ? Même la fréquentation des TER a augmenté de 14 % et de 20 % par rapport à 2015. C’est vrai que pour la LGV vers Toulouse et l’Espagne, il y a un problème de financement mais il y a des fonds européens possibles, sans oublier le PIA (Programme d’investissements d’avenir) qui, pour le moment, sert à financer des internats. Là, on investit pour au moins un siècle ! Là, on construit la France d’après-demain. Il y a dans le refus de la LGV un syndrome NIMBY (« Not In My Back Yard », ndlr, « Pas dans mon jardin »).
Le TGV est considéré comme un transport de prestige face aux trains du quotidien…
Le TGV, ce n’est pas un équipement de prestige réservé aux cadres supérieurs. C’est une fausse idée. C’est un train du quotidien, qui dessert plusieurs villes de notre région et qui mettrait Bilbao à 1 h 40 en train au lieu de 3 h en voiture.
C’est enfin le seul moyen de lutter contre l’avion, la voiture et les camions. Est-ce qu’il faudra une A 63 à deux fois cinq voies pour absorber plus de 12 000 camions par jour ? Cela satisfera les écologistes ? On y va pourtant tout droit…
L’A63, c’est la partie de l’Aquitaine où l’on recense le plus de particules fines à cause des milliers de camions qui y passent chaque jour. En France, il n’y a que 2,5 % de marchandises sur les trains. Renoncer à la LGV, c’est insensé et irresponsable (1) !
À Saintes et à Périgueux, la SNCF supprime des emplois dans ses ateliers…
Guillaume Pepy m’a assuré qu’il n’y aurait aucun licenciement et que la SNCF reclasserait ses agents qui souhaitent évoluer. Je lui avais fait des propositions pour l’avenir du site de Saintes et certaines ont été retenues.
La SNCF est l’opérateur, je ne vais pas me substituer à elle. Mais je rappelle que la Région a investi des millions à Saintes ou pour la construction d’un Technicentre TER à Bordeaux.
Avec le recul, que pensez-vous du dossier GM & S ?
Quand on veut s’occuper des entreprises, il faut les connaître. GM & S est un cas exemplaire de destruction d’entreprise à cause de deux patrons vautours avec une certaine complicité des donneurs d’ordre. L’un de ces patrons a empoché l’argent public et a disparu. J’aimerais qu’une action pénale soit lancée contre lui. Je suis prêt à le faire moi-même. Cela a créé une hostilité et une méfiance chez les salariés qui peut entraîner certains problèmes.
Je préfère évoquer les patrons qui jouent un rôle économique et social dans l’aménagement de leur territoire et heureusement, il y en a des centaines dans notre Région. Cette affaire prouve en tout cas que les salariés doivent participer au conseil d’administration de leur entreprise.
(1) « La Dépêche du Midi » a publié hier un sondage Ifop selon lequel 88 % des habitants d’Occitanie et du Lot-et-Garonne sont favorables aux LGV Bordeaux-Toulouse et Montpellier-Perpignan.