Les grands projets d’infrastructures sont censés s’accompagner de mesures de compensation pour contrebalancer les atteintes à la biodiversité. Qu’en est-il vraiment ?
Quelle est la réalité des mesures de compensation engagées pour contrebalancer les atteintes à la biodiversité occasionnées par les grands projets d’infrastructures ? En dépit de son intitulé rébarbatif, la question revêt un caractère grand public et souvent passionnel.
Entre ceux qui accordent la priorité à l’aménagement du territoire et leurs opposants qui privilégient la protection des espaces et des espèces, le consensus est rarement de mise.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire le rapport, d’une rare prudence, rendu au début du mois de mai par la commission d’enquête sénatoriale. Ses travaux se sont nourris de quatre exemples, dont font partie l’autoroute Langon-Pau et la LGV Tours Bordeaux.
Une dérobade décevante
La France perd tous les dix ans l’équivalent d’un département en terres agricoles et zones naturelles. Les grands projets ne sont pas les premiers responsables de cette hémorragie. » Mais, par un effet cumulatif, les infrastructures se surajoutent sur des territoires souvent déstructurés, affectant la capacité à se régénérer des écosystèmes « , rappelle l’ornithologue Jean-Philippe Siblet, l’un des directeurs du Muséum d’histoire naturelle. (1)
La compensation écologique reste souvent une chimère
Pour ne pas donner prise à la controverse, la commission d’enquête sénatoriale s’est refusée à évaluer la qualité des mesures compensatoires mises en œuvre.
De la part d’élus de la Nation qui ont, entre autres missions, le devoir de vérifier le bon usage des deniers publics et l’application des lois en vigueur, une telle dérobade est décevante. Même s’il suffit de détailler les 35 propositions qu’ils ont formulées pour comprendre que la compensation écologique reste souvent une chimère.
La loi sur la nature de 1976 avait pourtant tout prévu en créant la séquence « éviter-réduire-compenser ». Elle n’a eu que peu d’effet sur les pratiques des aménageurs.
Au point qu’il a fallu attendre la loi de 2016 sur la biodiversité pour que le législateur impose au maître d’ouvrage » une obligation de résultat. » Plus facile à dire qu’à faire au regard de la multiplicité des dispositifs juridiques et de la fragmentation des méthodes et des procédures.
Un coût caché
Mais, jusqu’à présent, c’est la volonté qui a surtout fait défaut. Faute d’expertises scientifiques de qualité, les études d’impact et les déclarations d’utilité publique minimisent les atteintes portées à l’environnement et au foncier agricole. Et interdisent toute réflexion sur la meilleure façon de les éviter, la réparation ne devant être que le stade ultime du processus.
Pour la LGV Tours-Bordeaux, la surface de compensation, initialement envisagée à 25 600 hectares, a été ramenée à 3 600 via un mécanisme de mutualisation.
Récréer de la nature quand on la détruit par ailleurs ne peut se résumer à des raisonnements en terme d’hectares. » Une même surface peut accueillir plusieurs types de mesures « , observent les sénateurs en citant le cas de la LGV Tours-Bordeaux. Initialement envisagée à 25 600 hectares, la surface de compensation a été ramenée à 3 600 via un mécanisme de mutualisation.
La compensation a d’autant plus de mal à entrer dans les mœurs que son coût reste dissimulé. Comment A’liénor, concessionnaire de l’A65 entre Langon et Pau, a-t-il utilisé l’enveloppe de 90 millions d’euros allouée par l’État pour réduire la perte de biodiversité ? « Ces coûts relèvent du secret des affaires », a expliqué aux sénateurs Olivier de Guinaumont, le PDG de l’entreprise.
Quel suivi de la compensation ?
Peu propice à l’établissement d’un climat de confiance, ce manque de transparence ne permet pas une véritable information du public lors des procédures d’appels d’offres. Et il handicape d’autant plus le suivi de la compensation que l’État, à qui il incombe, est souvent, faute de moyens, aux abonnés absents.
Créée en 2016, l’Agence française de la biodiversité est censée remédier à ces carences.
Mais rien ne sera possible sans une forte implication des territoires concernés. « Les acteurs locaux ayant des compétences pour apporter leur expertise n’ont pas de moyens humains suffisants pour tout suivre », insiste Philippe Barbedienne, le directeur de la société pour la protection de la nature dans le Sud-Ouest (Sepanso).
(1) Les citations reproduites dans cet article sont extraites du rapport de la commission d’enquête.