Les gendarmes ont soulevé les manifestants pour les déplacer sur le bord de la route.
Après l’accident ayant provoqué un décès et la pollution du gave, une manifestation a réuni 200 personnes hier près d’Accous. Les camions ont été bloqués en signe de ras-le-bol.
Ce mercredi matin fut la fin d’un éprouvant marathon pour les équipes de secours du Béarn. Alors qu’un camion s’échouait dans un ravin près du fort du Portalet ce lundi, les secours sont parvenus mardi en fin d’après-midi à retirer l’intégralité du chlorite de soude restant dans la citerne. Mercredi matin, vers 5h30, les pompiers ont procédé au relevage du camion, dans lequel se trouvait le corps du camionneur espagnol décédé des suites de l’accident. Après que la DIRA (Direction interrégionale des routes Aquitaine) a procédé à la sécurisation de la route en posant des blocs en béton sur les côtés de la zone accidentée, la préfecture a donc pu procéder à la réouverture de la RN 134 aux alentours de 11h… mais la fluidité de la circulation a rapidement été interrompue.
En effet, un message relayé sur les réseaux sociaux incitant les Béarnais à se regrouper ce mercredi midi du côté du rond-point d’Accous a provoqué une véritable manifestation populaire, qui a réuni plus de 200 personnes : une foule principalement composée d’Aspois et d’habitants du Haut-Béarn.
« Tristesse et mécontentement »
« On a tenu à rassembler un maximum de gens pour montrer notre tristesse et notre mécontentement », explique une habitante de la vallée d’Aspe, qui entend reformer un ancien collectif créé localement pour protester contre les nuisances du tunnel du Somport. « L’accident de ce lundi était dramatique. Ce n’est pas la première fois que ça arrive, et ça arrivera encore. En plus du décès du chauffeur, toute une faune et une flore sont mortes. Tout un morceau de rivière est détruit. On a vu une importante mortalité chez les poissons, mais cela va aussi impacter les animaux volants et tout ce qui gravite autour du gave ! » Seuls 12 000 litres de chlorite de soude ont en effet pu être pompés par les secours, sur les 24 000 que transportait le camion accidenté près du gave de Belonce. Dès ce mardi, la Fédération de pêche du 64 annonçait une mortalité « quasi totale voire totale » des poissons sur un tronçon de 3 kilomètres, entre le fort du Portalet et le pont d’Etsaut. Des inventaires seront réalisés dans les prochaines semaines par la Fédération pour établir plus précisément l’impact de la pollution.
« Des truites sont mortes localement, mais c’est pour tout le gave qu’on doit s’inquiéter ! L’impact de cet accident pourrait être gravissime »
« Des truites sont mortes localement, mais c’est pour tout le gave qu’on doit s’inquiéter ! L’impact de cet accident pourrait être gravissime », ajoute Jean-Claude Dutter, le président de l’Accob (Association pour la conservation du cadre de vie à Oloron et au Bager) « Il y a des personnes qui ont des responsabilités vis-à-vis de ces accidents, qui sont récurrents », explique un membre de l’association Haut-Béarn en transition. « Les dégâts qui ont été faits sont trop importants : il faut que des décisions soient prises ! On est là pour dire qu’on ne veut plus de camions ni de leur pollution dans les vallées. Je m’étonne d’ailleurs de ne pas voir davantage d’élus importants en soutien à cette manifestation. »
« On inhale des produits toxiques »
Le ras-le-bol envers les camions transportant des matières dangereuses était dans toutes les têtes. Très vite, les manifestants ont décidé de bloquer la route aux camions, lesquels seront empêchés de circuler pendant deux heures et demie. Plusieurs élus ont de leur côté quitté le rond-point d’Accous à ce moment-là : « ce n’est pas en créant des tensions qu’on va régler les choses », souffle Jean Sarasola, le maire de Gurmençon. « Des camions transportent régulièrement de la matière dangereuse sur cet axe et certains d’entre eux ont des fuites », justifie de son côté une habitante du haut de la vallée. « Le seul endroit où ils sont contrôlés, c’est le tunnel, mais à ce moment-là c’est trop tard : les camions ont déjà traversé les vallées françaises ou espagnoles. Ce qui veut dire que régulièrement, nous inhalons des produits toxiques ».
« Ce camion venait d’Espagne et allait en Allemagne : que faisait-il sur cette route ? », se demande Jean-Claude Coustet, l’ex-maire de Borce, qui estime que la réouverture de la voie ferrée Pau-Canfranc limiterait le passage de produits toxiques sur l’axe aspois. « On veut arriver à trouver des solutions pour le transport de matières dangereuses au sein des vallées », explique de son côté le maire par intérim de Borce Didier Bayens : afin d’y réfléchir, une réunion publique est organisée ce samedi à 18h à la « Maison pour tous » de ce village qui n’est qu’à quelques encablures des lieux de l’accident survenu ce lundi.
« Le trafic de camions ne peut que se développer »
Vice-président de l’association Béarn Adour Pyrénées (BAP), Pierre Saubot rappelle le dispositif autoroutier qui converge vers le Somport côté Aragon.
- Comment réagissez-vous à l’accident de camion survenu lundi ?
Cela fait des années que l’on sait que le trafic des camions ne peut que se développer en vallée d’Aspe. D’ici un an et demi, trois autoroutes, l’une qui vient de Pampelune, l’autre de Saragosse et la troisième de Barcelone vont converger vers Jaca, au sud du tunnel du Somport. Les Espagnols se sont organisés pour cela, et ils tiennent d’ailleurs leurs engagements pris lors du traité franco-espagnol. Puisque l’Espagne fait cela, et puisqu’ils jouent aussi la complémentarité du rail et de la route, il faut bien entendu finir la voie ferrée jusqu’à Canfranc, mais on sait que cela ne sera pas suffisant. On laisse, côté français, le trafic déboucher sur une route digne du XIXe siècle, où à certains endroits, une voiture ne peut pas croiser un camion ou un bus. Cette fois-ci, il y a eu un mort et un problème grave de pollution…
- Certains disent que les conditions géologiques empêcheront toujours de faire une autoroute en vallée d’Aspe.
Nous ne demandons pas une autoroute du Somport à l’échangeur de Lescar, nous savons bien que la vallée d’Aspe est trop profonde et encaissée. Mais avec cette hausse de trafic annoncée, il faut rectifier des virages, parfois creuser les roches dans les endroits les plus délicats, dévier les villages… en somme faire quelque chose de digne.
- Qu’est-ce qui bloque côté français selon vous ? L’argent ?
L’amélioration de la RN 134 et la construction d’une nouvelle route d’Oloron à Lescar peuvent se faire avec de l’argent privé. Des crédits ont aussi été inscrits lors des plans Etat-région successifs. Je crois que ce qui bloque, c’est la peur de ceux qui veulent que rien ne se passe et ne soit fait. Ils croient qu’en ne faisant rien pour la R134, les camions espagnols ne viendront pas. Or le Somport, où des échanges existent depuis les Romains, est la seule voie de passage entre l’Espagne et la France en dehors des deux extrémités des Pyrénées.
Vives tensions en fin de manifestation
Dans sa globalité, la manifestation impromptue organisée ce mercredi midi s’est déroulée dans une très bonne ambiance.
Aux alentours de 13h30, les manifestants sentent que les gendarmes ont envie de débloquer la circulation : une quarantaine d’entre eux décident donc de s’asseoir à l’entrée du rond-point d’Accous. A 14h15, une trentaine de gendarmes soulèvent les manifestants un par un pour les mettre sur le bord de la route, ce qui provoque pendant dix minutes de vives tensions et quelques viriles interactions. Un peu plus tôt, un homme tentant de s’enfuir avec le portable d’un gendarme sera interpellé. La circulation a pu reprendre normalement aux alentours de 14h45.