Pourquoi Bordeaux est la 3e ville la plus embouteillée de France

Fév 22, 2017 | Presse française, Routier

Pourquoi Bordeaux est la 3e ville la plus embouteillée de France
Les déplacements en voiture ont explosé dans l’agglomération de Bordeaux. Les boulevards, par exemple, sont régulièrement saturés.

ARCHIVES THIERRY DAVID
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Dans la 3e agglo la plus embouteillée de France, la voiture n’est plus au cœur des politiques publiques.

Le classement d’Inrix, le leader mondial américain des solutions de mobilité, est tombé cette semaine : Bordeaux est la 3e ville de France la plus embouteillée. En 2016, le Bordelais a passé en moyenne 29,2 heures dans les bouchons. Seuls Paris (65,2 heures/an) et Marseille (29,3 h/an) font plus mal. La situation à Bordeaux s’est donc dégradée, puisque l’agglomération n’était que la 4e la plus embouteillée en 2015. Mais tous ces bouchons s’expliquent.

1 En 20 ans, les déplacements ont explosé dans l’agglo

C’est l’une des premières causes des embouteillages : on ne s’est jamais autant déplacé. Selon l’enquête Déplacements réalisée par la Communauté urbaine de Bordeaux (devenue Bordeaux Métropole en 2015) en 2009, on dénombre plus de 3,9 millions de déplacements par jour dans l’agglomération. Soit 10 % de plus qu’à la fin des années 90. Cette explosion des déplacements est pour l’essentiel liée à la croissance démographique du grand Bordeaux (+12 % d’habitants par rapport à 1998). Or, la plupart de ces déplacements ont lieu en voiture individuelle. On compte ainsi plus de 500 000 véhicules dans la seule agglomération de Bordeaux. Même s’ils sont en stationnement pendant 90 % du temps, cela explique les bouchons.

2 L’échec « relatif » des transports en commun

La formule est un peu provocatrice. Avec près de 135 millions de voyageurs transportés l’an dernier, le réseau TBM des trams et bus de Bordeaux rencontre évidemment un succès de fréquentation. Mais on voit mal comment le réseau déjà saturé pourrait atteindre son objectif de 200 millions de voyageurs en 2020. L’échec relatif est surtout perceptible au niveau de la « part modale » prise par les transports en commun, dans l’ensemble des déplacements. Soit 10 % des déplacements aujourd’hui, un tout petit point de mieux par rapport à 2003, année du lancement du tram. Lequel n’est donc pas parvenu à détrôner la voiture.

3 Un réseau de voirie notablement indigent

Vous avez sans doute remarqué que la rocade ouest de Bordeaux est souvent bouchée. Pourquoi ? Parce qu’elle sert de voie de desserte locale. Ne disposant d’aucun réseau secondaire réellement compétitif pour effectuer des liaisons transversales entre le nord-ouest et le sud-ouest de l’agglomération (par exemple entre Bruges et Pessac), la plupart des habitants empruntent la rocade.

On a construit une autoroute pour aller plus vite et traverser des quartiers sans s’y arrêter, mais elle sert aujourd’hui de boulevard urbain. 65 % des personnes qui circulent sur la rocade ouest font un déplacement interne à l’agglomération. En théorie, elles ne devraient pas se trouver sur cet axe, qui n’est pas censé assurer les dessertes locales. Mais comme il n’existe pas d’autres itinéraires efficaces, ces automobilistes s’en vont gonfler le trafic déjà copieux de la rocade.

Cet exemple illustre un phénomène plus général : l’indigence du réseau routier. Hormis la rocade, les vraies voies rapides, les pénétrantes à fortes capacités, sont quasiment inexistantes à Bordeaux.

4 La voiture est de plus en plus privée d’espaces

En vingt ans, l’espace dédié à la voiture a considérablement reculé dans l’agglomération de Bordeaux. Le centre historique est devenu semi-piéton quasiment partout. La ceinture des cours est désormais à 2×1 voie pour les autos, contre 2×2 auparavant. Les quais rive gauche : 2×2 voies partout, contre plus du double jusque dans les années 2000. Les boulevards : de plus en plus de voies de bus, d’îlots séparateurs, de barrières aménagées qui grignotent le territoire de la voiture. Le boulevard des Frères-Moga, voie autoroutière sur berges qui conduit à la rocade sud, sera bientôt transformé en boulevard urbain, avec 2×2 voies et circulation « apaisée ».

La mairie de Bordeaux se félicite d’avoir réduit la circulation dans le centre, de 18 à 25 % selon les secteurs. Un résultat obtenu par une méthode radicale : la réduction drastique de l’espace dédié à la voiture. Mais comme il y a autant de véhicules et toujours plus de déplacements, la conséquence de cette politique, ce sont les embouteillages. Après les années 60 où elle était reine, la voiture n’est clairement plus au cœur des politiques publiques. Polluante et encombrante, elle doit céder du terrain, de gré ou de force.

5 Des infrastructures avec « le cul entre deux chaises »

À Bordeaux Métropole, l’organisation politique illustre le « trou » dans lequel est laissée la voiture. Il y a un vice-président pour toutes les grandes thématiques (gestion des déchets, urbanisme, transports de demain, etc.), mais aucun pour la circulation automobile. C’est d’autant plus curieux que l’écrasante majorité des déplacements ont lieu en voiture.

Les dernières infrastructures réalisées illustrent ce même embarras par rapport à l’auto. Le pont Chaban-Delmas, par exemple, est alimenté par un axe à 2×2 voies (la rue Lucien-Faure) sur la rive gauche, mais il débouche sur une voirie en T à 2×1 voie sur la rive droite. On ne saurait mieux illustrer l’impossibilité, désormais, de créer des axes pénétrants à gros gabarit.

Les rares infrastructures routières récentes donnent ainsi l’impression de « rester le cul entre deux chaises ». Le futur pont Jean-Jacques-Bosc (entre Bordeaux, Bègles et Floirac) ne corrigera pas la tendance. Bien que monumental, il ne pénétrera pas lui non plus dans la plaine de la rive droite. Son trafic sera « éclaté », comme on l’explique à Bordeaux Métropole. Attention aux bouchons.

Pour Michel Duchène, vice-président de la Métropole chargé des grands projets, le mauvais classement de Bordeaux s’explique par la reprise économique, qui entraîne du trafic sur la rocade, le faible coût du carburant et divers travaux « très impactants ». Selon lui, il est faux de dire que la Métropole n’investit pas sur l’automobile : « le système Gertrude de gestion du trafic, la mise à 2×3 voies de la rocade, un nouveau pont et bientôt un autre, ce sont des investissements très lourds. »

Michel Duchène reconnaît en revanche qu’aujourd’hui, « il n’est plus possible de créer des axes pénétrants, car cela soulève des oppositions très fortes. Même quand on crée des axes de transports en commun ou des voies cyclables, les riverains sont contre ».

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