Bouchons autour de Bordeaux : des pistes pour en sortir

Nov 25, 2017 | Presse française, Routier

 

 

 

L’augmentation du trafic poids lourds et l’explosion démographique de la Gironde provoquent une thrombose quotidienne autour de Bordeaux. Et au-delà… Face au ras-le-bol, quelles sont les solutions ?

Bordeaux asphyxié par les bouchons quotidiens de sa rocade, paralysé au moindre accident. La Gironde impactée dans un rayon de 40 kilomètres… La région pénalisée. Depuis deux ans, « Sud Ouest » constate la dégradation de la circulation et donne l’alerte. Le phénomène est tel qu’il a poussé Alain Juppé à s’exprimer. Dans une interview accordée jeudi soir à « Sud Ouest », le maire de Bordeaux et président de la métropole – fait unique – reconnaît l’étendue du problème – « nous sommes dépassés par notre succès » – et dévoile un plan pour sortir le poumon économique de la Nouvelle-Aquitaine de la congestion.

1- Les capitaines de l’économie au front

Il faut dire que depuis deux mois, le patronat girondin mène une fronde feutrée au fil de déclarations faites à « Sud Ouest ». Le président de la CCI de Bordeaux Patrick Seguin, Franck Allard patron du Medef 33, Jean-Claude Fayat, PDG du 4e groupe français du BTP, EricTrappier, PDG de Dassault, parlent d’exaspération vécue chaque jour par ceux qui approchent la métropole bordelaise via la rocade. Le président de la CCI, qui gère aussi un aéroport désormais concurrencé par la LGV, a même mis sur la table du président Juppé un plan de financement d’une voie d’accès pour contourner l’entonnoir subi par Bordeaux-Mérignac et la puissante zone d’emplois aéronautiques. Ce débat, d’autres depuis la Dordogne, tentent de le porter. À l’échelle régionale.

2- Le scénario des barreaux reliant A 62, A 65, A 89

Develop’SO (think tank né en 2006 et réunissant d’ex cadres publics territoriaux, patrons de PME, spécialiste du transport international) propose de créer deux axes pour relier Langon à Mussidan et Périgueux à Limoges. C’est le scénario des barreaux reliant l’A 62, l’A 65 et l’A 89. Leur projet ? Dévier au Sud des Landes ces camions espagnols et portugais qui n’ont aucune obligation de passer par Bordeaux, puis, à partir de Langon, ceux qui arrivent de Toulouse. En somme, créer un axe intérieur à la Nouvelle-Aquitaine pour le trafic européen nord/sud et ainsi soulager la métropole de Bordeaux. Alors que se tiennent partout des consultations sur la mobilité, le lobby périgourdin vise la loi cadre du printemps prochain voulue le président Macron. Le dernier schéma autoroutier de 2014 ne prévoyait que l’élargissement de l’A 63 à hauteur de Ondres pour déjà absorber le flux exponentiel de poids lourds ibériques. Malgré le fiasco du précédent projet, cette idée d’un nouveau contournement à barreaux très éloigné et à l’est de Bordeaux suscite l’intérêt : Juppé y souscrit avec nuances Rousset ne dit pas non mais…

3- L’explosion démographique et la ville qui s’étale

L’urgence est là. Outre la thrombose quotidienne, les carambolages entre poids lourds révèlent une tension telle qu’une catastrophe routière n’est pas à exclure. C’est l’effet conjugué d’une augmentation du trafic routier international et d’une explosion démographique de la métropole bordelaise que les pouvoirs publics n’ont pas anticipé. Au point que Bordeaux et son aire urbaine se confondent aujourd’hui avec le département. Rançon du succès, l’attractivité retrouvée de Bordeaux annonce jusqu’en 2030 l’installation de 15 000 nouveaux habitants par an dans le département dont deux tiers hors de la métropole. Le prix des logements dans la ville centre et ses voisines repoussent dans un rayon de 40 km des familles n’ayant pas les salaires pour habiter Bordeaux ni même les communes infrarocade.

Toujours plus de foyers s’installent en Cubzaguais, en Créonnais, dans le Brédois en Sud Gironde, ou en Sud Médoc. Libourne et Arcachon/La Teste sont les deux pôles qui échangent le plus de salariés quotidiennement : respectivement 9 500 et 8 700 (1). Partout, la problématique se répète. À raison de deux voitures par foyer, et malgré l’aménagement d’aires de covoiturage, les bouchons, toujours plus nombreux commencent toujours plus loin. Et même si la métropole et le département viennent de s’adosser à l’établissement public foncier de la région pour réserver des terrains et contrer la spéculation, il aurait fallu anticiper cette politique il y a dix ans. Car ce n’est pas avant une décennie que ces précautions d’écureuil porteront leurs fruits. Entre-temps, la ville s’est étalée au point que même à La Réole, à plus d’une heure de Bordeaux, existe un frémissement immobilier. Sans parler du bassin d’Arcachon désormais touché par la nasse d’embouteillages à l’année.

4- Pas assez de TER, toujours plus de camions

Plus compliquée encore est l’amélioration du trafic TER, même si davantage de dessertes sur les lignes de Langon et Libourne ont été obtenues. Le Médoc reste enclavé, avec des caténaires en piteux état, les TER d’Arcachon sont bondés, et ceux en provenance de Dordogne, insuffisants. Partout, ça craque aux coutures. Et les perspectives d’évolution du trafic international de poids lourds en provenance d’Hendaye ou de Toulouse ne remonteront pas le moral des salariés girondins se levant toujours plus tôt pour être à l’heure au boulot. Si le trafic de camions en provenance de la péninsule ibérique avait régressé avec la dépression de 2008, il est revenu au niveau d’avant la crise et progresse de 5 % par an…

5- Solutions au compte-gouttes

L’État pallie comme il peut. Outre la fin de la mise à deux fois trois voies de l’anneau bordelais prévu pour 2022, il expérimente depuis fin août la modulation de la vitesse de 130 à 70 km/h pour fluidifier la circulation sur l’A 63. Les élus lui réclament en vain depuis un an des parkings au nord et au sud de Bordeaux pour y retenir les poids lourds aux heures de pointe. La Dira (Direction interdépartementale des routes atlantiques) a annoncé le 26 octobre l’implantation de feux tricolores sur des bretelles d’accès à la rocade pour mieux réguler le trafic, comme à Nantes ou Paris. Des gouttes d’eau dans un océan de voitures et de camions. Francis Larrivière, le numéro 1 de la Dira, résume : « Il est illusoire de penser qu’il existe des solutions à court terme. » Il va falloir passer la vitesse supérieure. Contournement, transports en commun efficaces et adaptés, parkings relais et ville plus verticale. Un défi herculéen pour les 15 ans qui viennent.

(1) Source : atlas A’Urba

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Relier l’A62, l’A65 et l’A89 soulagera Bordeaux

« Ce 2 octobre au matin, un poids lourd heurte un réverbère de la rocade. Résultat : deux heures pour parcourir les 16 km de l’A89 à l’A 63. L’après-midi, un autre camion prend feu sur l’A 63 au sud de Bordeaux :  encombrements généralisés. L’agglomération bordelaise est en permanence au seuil de la thrombose. Et on bricole (à prix d’or) une voie supplémentaire sur la rocade qui ne réglera pas le problème à long terme » (1).

Rééquilibrage de la région

Ainsi parle Jean-Marc Richard président de Devlop’SO. Ce think-thank de Dordogne préconise de dévier au Sud des Landes, par la D824, le trafic poids lourd international, puis de relier l’A 62, l’A 65 et l’A 89 par deux barreaux autoroutiers de 80 kilomètres chacun. « Il faut éloigner de Bordeaux et du littoral tous les usagers qui n’ont rien à y faire. En utilisant au mieux les infrastructures existantes, on peut, à moindre coût, apporter une solution durable au problème, assure-t-il. On procéderait aussi à un aménagement territorial qui rééquilibrerait notre région, qui dynamiserait l’économie intérieure de la Nouvelle-Aquitaine et mettrait un frein à la désertification. Mieux, on optimiserait l’utilisation de l’A 65 (Pau-Langon) tout en soulageant l’axe Bayonne-Bordeaux-Poitiers , y compris pendant les grandes migrations estivales». Pour cela, poursuit-il, « il faut contourner très loin de Bordeaux, penser ce contournement à l’échelle régionale, en regardant les flux européens. Trop près de l’agglomération, l’intense mitage et les crus prestigieux rendent de toute façon la chose impossible ».

Doubler la rocade de Mont-de-Marsan

Le comité citoyen a fait chiffrer le projet en utilisant pour coût de référence, celui de l’A65 (Pau-Langon) inflation comprise : soit 8,2 millions du kilomètre. Le tronçon, dénommé « Langon-Mussidan », qui permettrait la jonction entre A65 et A62 avec l’échangeur des Lèches sur l’A 89, représente environ 80 km. « Cette zone est plus montueuse que les Landes, explique Jean-Marc Richard, le foncier y est plus onéreux (vignobles) et deux ouvrages d’art d’importance doivent être édifiés : le franchissement de la Garonne et celui de la Dordogne. Selon notre évaluation, cela coûterait 13 millions du kilomètre pour 80 km, soit environ 1,1 milliard ».

Pour le tronçon Périgueux-Limoges (A 89 : 5 km au nord-est de l’échangeur n° 16 vers l’échangeur n° 40 de l’A 20, environ 78 km) : « La topographie est moins accidentée que dans le cas précédent, et le foncier globalement moins coûteux, mais il faut prévoir un nouvel échangeur et sans doute un ouvrage d’art dans le secteur de Pierre-Buffière. Notre évaluation tourne autour de 12 millions le kilomètre pour 78 kilomètres, soit environ 950 millions. » « Deux barreaux à concéder évidemment » précise Devlop’SO pour un montant global de 2,05 milliards d’euros. En complément, Devlop’SO projette le doublement de la rocade de Mont-de-Marsan et une jonction rocade-échangeur sur l’A 65 qui ne pourront être conçus qu’avec des financements publics.

(1) 137 millions d’euros que se partagent la métropole de Bordeaux et l’État pour finir la mise à deux fois trois voies de la rocade à l’horizon 2022.

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